

Une expérience gastronomique provocatrice et spectaculaire à découvrir au Victoria & Albert de Londres, institution culturelle majeure de sa Majesté. Quel est l’intérêt que cette exposition ait précisément lieu à cet endroit-là : "Y-a-t-il aujourd’hui un sujet plus important pour l’humanité ?"
- Pierre Hivernat Directeur de la publication d’Alimentation Générale
Pour ceux de nos auditeurs qui ne connaîtraient pas le Victoria & Albert Museum, disons d’abord qu’il n’est pas commun qu’une institution culturelle majeure de sa Majesté se lance dans un tel projet. Ce musée est en effet avant tout dédié à montrer une collection qui réunit essentiellement meubles, textiles, photos, peintures, céramiques ou joaillerie et on y voit le plus souvent des expositions sur la mode ou l’architecture, à l’instar de Dior et Kengo Kuma qui sont actuellement à l’affiche. Le signe est donc d’importance et, quand on interroge Catherine Flood, l’une des Commissaires de l’exposition, sur les raisons d’un tel choix, elle a pour simple réponse, je cite : « Y-a-t-il aujourd’hui un sujet plus important pour l’humanité ? », Olivier Roellinger ne dirait pas mieux, n’est-ce pas ? Alors quel est l’intérêt que cette exposition ait précisément lieu à cet endroit là ? Et bien je dirais avant tout : c’est qu’ils sont anglais ! Et que, de fait, ce sont quand même eux qui font cohabiter les décors de la Royauté avec le design du punk et que rien ne les a jamais arrêtés côté créativité et éclectisme. Et dialoguent donc dans cette exposition, un designer qui produit des objets incroyables avec des déchets, une association locale qui pratique cueillette et vente sur place d’infusions d’herbes, tous ceux-là croisant joyeusement de nombreux travaux d’artistes, de scientifiques, d’architectes, comme des projets de start-up. C’est ainsi, les anglais ont cet art de mélanger les genres sans peur du qu’en dira-t-on académique.
Alors le risque d’un tel parti-pris c’est bien sûr de perdre son visiteur par un certain manque de pédagogie, de fil rouge, de ligne éditoriale.
En réalité, c’est très précisément ce que je trouve formidable dans cette exposition où l’on évite de vous montrer le bien et le mal, le bon et le mauvais ou une certaine forme de prêt-à-penser.
Par exemple, s’agissant de la relation à l’animal que l’on tue pour pouvoir le manger - Olivier décrit d’ailleurs dans son livre un moment intense quand il tue pour la seule et unique fois de sa vie un cochon -, les designers Charles Michel et Andreas Fabian présentent un bol dont l’extérieur est en fourrure de lapin et qui est uniquement destiné à déguster des recettes de lapin, vous obligeant à refaire le lien à chaque bouchée entre la viande et l’animal. Ou encore, histoire de vous rappeler que le fromage, c’est d’abord des champignons, deux chercheurs de Stanford ont prélevé des bactéries dans les coins les plus intimes de corps de célébrité et vous pouvez ainsi déguster un portrait microbien en forme de Cheddar des oreilles du chanteur de Madness ou un Cheshire, un autre fromage moins connu chez nous, fermenté à partir des orteils d’Alex James, musicien du groupe Blur.
Mais ce côté provocateur, voire spectaculaire, n’est pas le seul point fort de l’exposition, on peut aussi découvrir le remarquable travail d’un couple d’artistes islandais (Björn Steinar Blumenstein et Johanna Seeleman) qui ont suivi et documenté le parcours mondial complet d’une banane, de la graine à leur assiette, un véritable cours d’économie du commerce, poésie incluse, avec la fabrication du passeport de la banane avec ses visas et tampons tout à fait édifiants.
Bref, à l’instar du livre d’Olivier, l’exposition est avant tout une invitation à prendre conscience et à agir, fissa, si possible !
Informations pratiques :
" Food : Bigger than the Plate", visible jusqu’au 20 octobre 2019 au V&A - Victoria & Albert Museum de Londres
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