Il s’agit d’un petit livre, jaune comme le soleil, écrit en 1897 par le chef Jean-Baptiste Reboul et qui sent bon la tomate, le poisson frais et la garrigue.
Il s’agit d’un petit livre, jaune comme le soleil (ou le pastis !), écrit en 1897 par le chef Jean-Baptiste Reboul, et qui sent bon la tomate, le poisson frais et la garrigue.
Si je vous en parle aujourd’hui c’est parce qu’il est l’ouvrage idéal pour inaugurer cette chronique. À mon sens, c’est un peu la mère du livre de cuisine populaire, bien plus accessible que le guide culinaire d’Escoffier (paru en 1903). Ce n’est pas un hasard si à plus de 122 ans, La Cuisinière Provençale se porte comme un charme : c’est un véritable phénomène qui traverse les époques. Vous en connaissez beaucoup, des livres publiés au XIXème siècle, réédités 28 fois et vendus à plus d’un million d’exemplaires ? Des livres dont le titre s’estompe au fil du temps pour devenir « LE » Reboul, comme on disait « LE » Bescherelle pour notre manuel de grammaire ? Des livres contenant 1123 recettes et 365 menus ? Et quelles recettes ! La Cuisinière Provençale, c’est ni plus ni moins le livre qui a élevé la bouillabaisse et l’aïoli au rang de monuments régionaux, que dis-je nationaux !
Même le grand Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature (en 1904), s’en est mêlé : en recevant la 6ème édition de l’ouvrage, il constate avec effroi que les intitulés des recettes sont écrits en français. Et comme il défend à cor et à cris la langue provençale, il demande à Reboul d’y accoler leur nom provençal. Ce qui fut fait, le cuisinier reconnaissant que (je cite) « venant de si haut, ce conseil était pour nous un ordre que nous sommes heureux d’exécuter ». Ainsi, la bouillabaisse devient Boui-abaisso, les alouettes sans tête les Paquetoun de biou, et les coriaces croquets aux amandes des Cacho-dent (casse-dents).
Voilà qui ajoute au plaisir de lecture, car en plus d’être une bible culinaire et un trésor patrimonial, cet ouvrage se lit comme un poème épique. Il est écrit dans une langue tellement savoureuse qu’on le déguste juste en le feuilletant. Il raconte une époque, des produits aux noms mystérieux (tautennes pour les calamars, becs fins pour les passereaux…), des habitudes, un milieu –Reboul cuisinait chez les nantis : dans des palaces, puis pour la famille Noilly-Prat-. Bref, La Cuisinière Provençale, c’est un peu Dowton Abbey dans les Alpilles.
Ce que j’aime particulièrement, ce sont ses avertissements, d’une condescendance aussi exquise qu’anachronique. À propos des courses et des menus, il dit ainsi : « rien n’est plus vicieux que la coutume de certaines ménagères, d’acheter à tort et à travers, au petit bonheur », ou encore, se justifiant d’avoir simplifié ses menus : « par l’habitude de notre travail journalier, nous nous placions à un niveau un peu élevé pour les petits ménages ». Vous noterez aussi qu’il ne parle qu’aux dames, pardon, aux ménagères, leur délivrant la bonne parole du haut de son statut de maître-queux.
Mais foin de ces remarques grincheuses, penchons-nous plutôt sur la richesse du Reboul, qui reste d’actualité pour un tas de choses. Personnellement, je l’ai toujours sous la main pour certaines recettes de base, comme celles de l’aïoli (le meilleur du monde !), de la soupe d’épeautre (« qui ne manque pas de bonté et qu’on ne mange guère à la ville »), des tomates farcies ou de la tarte aux abricots. Quant à la bouillabaisse, pour les courageux auditeurs qui voudraient se lancer, c’est dans le Reboul que figure LA recette d’anthologie, qui préconise de cuire « d’abord les poissons fermes, ensuite les poissons tendres ». Ce qui change tout.
Car oui La Cuisinière Provençale regorge d’astuces géniales, que les grands gourmets s’échangent depuis des générations. Ainsi, j’en connais qui suivent de près les conseils de Reboul pour « branler » (agiter fortement) la brandade dans les règles de l’art. D’autres qui se feraient couper une main plutôt que d’oublier le verre de vinaigre dans la marinade de la daube.
Pour conclure cette déclaration d’amour au Reboul, qu’il ne contient pas que des recettes provençales, puisque l’on y apprend aussi à cuisiner un soufflé au fromage ou une sauce béarnaise.
Bref, je me demande encore comment vous avez pu vous en passer jusque là…
La Cuisinière Provençale, de Jean-Baptiste Reboul Éditions Tacussel (Marseille)
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