A première vue, le Reflet est un restaurant comme un autre...
A première vue, le Reflet est un restaurant comme un autre : un petit bistrot moderne, poutres en bois et pierre de taille, installé dans le haut Marais, à Paris. Le menu est assez classique, appétissant, fait maison et de saison : brandade de morue et roquette, risotto aux champignons, axoa de veau aux piments doux, fontainebleau, tarte bourdalou… Ici c’est le personnel qui est extraordinaire : car le Reflet emploie, en salle comme en cuisine, des personnes porteuses de trisomie 21. Cette initiative est celle de Flore Lelièvre, jeune femme dynamique même pas trentenaire. Tout a commencé lorsque, étudiante en architecture d’intérieur, elle a imaginé pour son projet de diplôme un restaurant où son frère, trisomique, pourrait travailler. Le projet a trouvé tant d’écho et de soutien qu’elle s’est lancée dans sa conception en dur, et un premier Reflet a vu le jour à Nantes en 2016. Succès retentissant, qui a mené à l’ouverture d’une deuxième adresse à Paris, ce mois ci. Si elle l’a baptisé ainsi, c’est en référence à la rencontre de l’acier et du verre qui deviennent miroir – mais aussi, dit-elle, « parce que les personnes handicapées ne sont pas si différentes, et qu’elles nous renvoient une image de ce que nous sommes, sans filtre. »
Malgré la loi de 2015 incitant à « l’égalité des chances », à peine plus d’1% des 60 000 personnes trisomiques en France travaillent actuellement en milieu « ordinaire ». Dans la même veine, il y a bien les Cafés Joyeux qui existent depuis 2017. Mais alors que ceux-ci ne proposent qu’une offre courte façon « snacking », Le Reflet est un restaurant à part entière, avec services du déjeuner et du dîner et des propositions de plats variés. Au final, peu d’aménagements spécifiques ont pourtant été nécessaires : il a fallu imaginer un système où les clients tamponnent les plats qu’ils souhaitent, pour fluidifier les commandes ; des assiettes facilitant la prise en main ; un planning allégé pour ménager le personnel. Et surtout, choisir des recettes qui se préparent en amont, des plats mijotés plutôt que des cuissons minute, afin d’éviter tout stress au moment du coup de feu. Car les employés extraordinaires répondent très mal au stress. Ils adorent, en revanche, l’aspect méthodique et créatif des mises en place, et excellent généralement au dressage des assiettes.
Lorsque je suis allée déjeuner au Reflet à Paris il y a quelques jours, j’ai rencontré Ibrahim au poste de maître d’hôtel, méticuleux et attentif, Inès au service, riante et espiègle, ou encore Eurydice véritable « machine de guerre » en cuisine, selon ses collègues. Avec Ulysse, Cyril, Michael et Redouane, Ils sont sept personnes trisomiques à travailler ici. Tous en CDI à temps partiel, ils font un service de 5h par jour (midi ou soir), et sont accompagnés de trois personnes « ordinaires » : un manager de salle, un chef, et un plongeur/commis de cuisine. Il y a aussi Fabrice, pâtissier et directeur artistique. Fabrice accompagne l’aventure parisienne depuis le début, notamment sur la partie « sucrée », parce qu’il a été touché en plein coeur par le projet : « j’y ai trouvé une incroyable connivence avec mes propres névroses », m’a-t-il dit. Ce qu’il a observé aussi, c’est le pouvoir magique de la cuisine, qui transforme les gens. Car la cuisine est un lien, un vecteur social et un révélateur. En faisant à manger aux autres, les personnes porteuses de handicaps se révèlent à elles mêmes, se découvrent des tas de talents, et acquièrent la fierté du bon et du bien fait. Car j’oubliais : si on va au Reflet pour le projet social, on y retourne parce qu’on s’y est régalé.
Informations pratiques
- Le Reflet Nantes, 4 rue des trois croissants, 44000 Nantes
- Le Reflet Paris, 11 rue de Braque, 75003 Paris
L'équipe
- Production
- Réalisation