Dans une vie de journaliste gastronomique, certaines expériences vous en font voir de toutes les couleurs. Il y en a des fabuleuses, comme cette salade de citron, juste cueillis sur l’arbre à Ischia, dans le golfe de Naples. D’autres sont extrêmes, comme manger du cœur de renne cru au Danemark.
Toutes sont passionnantes, mais pour moi, aucune n’égalera jamais le dîner multi-sensoriel que j’ai dégusté chez Ultra-Violet, dans un mystérieux quartier de Shanghai. Et ce, grâce à un chef…perpignanais ! Il s’appelle Paul Pairet, il vit en Chine depuis treize ans, et il a accompli son rêve le plus fou : faire vivre à dix personnes chaque soir un repas où tous les sens sont convoqués. Le goût avant tout, ainsi que la vue, l’odorat, l’ouïe et même le toucher !
Mais pour comprendre ce voyage culinaire unique au monde, il faut que je vous le raconte depuis le début. D’abord, rendez-vous sur le Bund, la mythique avenue de Shanghai, face aux tours futuristes de la mégapole chinoise. Là, on vous offre une coupe de champagne, et un menu inscrit en transparence sur un papier gracieusement plié. Puis on vous embarque dans un mini-bus muni de rideaux, et c’est parti pour une demi-heure de trajet dans les rues de cette ville tentaculaire… Comme l’adresse est secrète, l’idée, c’est de vous faire perdre tout repère. En descendant du véhicule, on a l’impression d’arriver dans un coupe-gorge, à mi-chemin entre un local à poubelles et un parking sous-terrain. Cela fait partie de l’expérience mais sur le moment, on ne le sait pas et c’est carrément effrayant. Ça l’est encore plus quand une porte s’ouvre dans cet espace sombre, dévoilant la silhouette immense d’un hôte portant une casquette maoïste. À l’intérieur, on découvre une ambiance avant-gardiste, et l’apéritif se prend autour d’une œuvre d’art en forme d’immense arbre couché. Vient enfin le moment de pénétrer le saint des saints : la salle à manger. Sauf qu’à première vue, elle ressemble à un bloc opératoire. Entièrement blanche, du sol au plafond, avec une table immaculée au milieu, où se découpent les noms des convives en lumière ultra-violette. Pas question de sortir, cela troublerait le show, vous prévient-on. Ce qui commence alors relève en effet autant du happening artistique que du repas gastronomique. À la cuisine extraordinaire de Paul Pairet, répond une mise en scène totale : les murs, le sol, le plafond de la salle s’habillent d’images et de films vidéos en harmonie avec le plat que vous mangez. À chaque bouchée, correspond une musique, et même une odeur.
Ainsi, lorsque les serveurs vous apportent un plat à base d’huître, les murs se font liquides, des vaguelettes se forment autour de vous, vous êtes dans un parc à huîtres, comme vous le confirment le parfum délicatement iodé qui se diffuse, et la bande son qui vous rappelle les clapotis de la mer. Quand c’est le tour du foie gras au cacao, la table blanche se mue en une immense tablette de chocolat plus vraie que nature, que vous vous surprenez à caresser pour en avoir le cœur net. Quand arrive la guimauve de seiche, enroulée en spirale dans votre assiette, la même spirale se dessine à l’infini sur les parois, et vous donne le tournis. Chaque nouvelle assiette est de plus en plus bluffante. Le clou, c’est peut-être la bouchée d’agneau truffée : une odeur d’humus se répand et imperceptiblement, vous vous enfoncez dans la terre d’une forêt…
Je m’arrête là, car il ne faut pas tout déflorer. J’ajouterai simplement que si cette expérience est très chère, le chef Paul Pairet a mûri ce projet pendant 16 ans. Que 25 personnes sont chaque soir au service de 10 clients. Que 20 plats sont servis lors d’un dîner. Que Ultra-Violet fait partie du classement des meilleurs restaurants du monde. Et que la cuisine atteint un niveau stratosphérique, le chef a d’ailleurs été gratifié récemment de trois étoiles au Michelin. Bref, je casserais volontiers une fois de plus mon PEL pour reprendre, au moins une fois dans ma vie, le Shanghai express.
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