Ça commence quand, la politique ?

Une ville sans politique est-elle possible ?
Une ville sans politique est-elle possible ?  ©Getty -  Malte Mueller
Une ville sans politique est-elle possible ? ©Getty - Malte Mueller
Une ville sans politique est-elle possible ? ©Getty - Malte Mueller
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Comment le jeu vidéo "Cyberpunk 2077" nous questionne-t-il sur l'importance de la politique dans la cité ? Une ville sans politique est-elle possible ?

C’est peut-être la grande question de l’anthropologie : à partir de quand on passerait d’une société tribale à une société hiérarchique ? Quand apparait l’arkhê que redoutent les anarchistes ? 

La cité ou l'empire

Ce serait par exemple avec l’agriculture — c’est par exemple la thèse du grand anthropologue James Scott.
Mais les philosophes, longtemps, ont pris à la fois par convention et parce que l’histoire de la philosophie elle-même était sur ce point un peu biaisée, la cité grecque comme point d’origine — faisant insidieusement de la politique une question de taille.
La politique, en tout cas entendue au sens d’une pratique potentiellement philosophique du pouvoir, devait avoir pour cadre naturel la cité — et disparaissait quand on passait, par exemple, au stade de l’Empire.

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La question serait-elle alors également : quand s’arrête la politique ?
Et c’est encore une fois, bizarrement, une question de taille.
Les Etats-Unis, avec ce fameux archipel démocrate cerné par le plateau continental du vote républicain sont-ils encore une structure politique, ou bien ne ressortent-ils plus que de la seule géographie ? La politique serait soluble dans la géographie électorale ?
Elle est en tout cas, et cela nous éloigne définitivement de la cité grecque, soluble dans la forme des villes.
Il a même existé un genre, d’abord littéraire, puis cinématographique et vidéoludique, qui racontait que les villes modernes allaient devenir, ou étaient déjà, de gigantesques machineries destinées à détruire l’idée même de politique.
Ce genre, c’est le cyberpunk : des villes sans structure municipale visible et entièrement livrées aux conflits entre gangs et corporations multinationales.
Même dans la Gotham de Batman, cet enfer oligarchique, ce paradis libertarien, il existait des structures politiques. Celles-ci ont disparu dans les villes futuristes et tentaculaires du cyberpunk.

Ainsi, la mésaventure qui vient d’arriver au dernier représentant officiel du genre est-elle un peu paradoxale : le jeu Cyberpunk 2077, attendu par beaucoup comme le jeu de la décennie, vient de se prendre, comme un Titanic électronique, l’iceberg de la politique en pleine face. 

Une ville sans politique est-elle possible ? 

Ce ne sont ni ses bugs innombrables ni ses facilités narratives qui lui ont été reprochés à sa sortie, mais le fait qu’il était dangereusement apolitique — ce que personne n’aurait reproché à son lointain modèle, aux villes en monde ouvert de GTA, où on pouvait faire à peu près n’importe quoi d’immoral. Et d’être un jeu immoral, cela avait été justement reproché à GTA. Mais d’être politiquement inepte, jamais. 

C’est pourtant le reproche qui revient le plus, dans les critiques de Cyberpunk 2077.
On connait, depuis le gamergate de 2014 — pour résumer, le harcèlement d’une journaliste de jeu vidéo qui avait alors révélé les abyssaux problèmes de sexisme dans la communauté vidéoludique — les liens ambigus entre cette culture et les masculinités toxiques.
Ce qui a rendu inexplicable, ou particulièrement perverse et malvenue, la présence massive de godemichés par milliers, comme items à collectionner dans tous les recoins de la ville de Cyberpunk 2077.
De là on est très vite passé à la mystérieuse absence de pensée politique du jeu, qui ne questionnerait jamais, justement, l’inquiétante absence de politique dans un monde livré aux gangs et aux corporations.

Mais peut-on reprocher à un jeu cyberpunk d'être trop punk ? Toute la question est là. En lui-même, le cyberpunk, même par défaut, était un genre éminemment politique  : ses uchronies relevaient toujours en dernier de la politique, même si c’était à travers la fable de son abolition.
Il est cependant significatif que, perdus dans une ville gigantesque, les premiers citoyens de Night City, la ville de Cyberpunk 2077, en aient perçu, en premier lieu, la problématique étroitesse. 

Aucune cité ne peut-être vraiment grande sans la politique ?
Cela pourrait être ça, la paradoxale leçon du lancement raté de Cyberpunk 2077.