D’où vient que la publicité nous fascine ?

D’où vient que la publicité nous fascine ?
D’où vient que la publicité nous fascine ?  ©Getty - CSA Images
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De la poésie de Baudelaire à la lotion capillaire ? Il n'y a qu'un pas... Le souvenir de la visite d'une exposition autour du poète évoque à Aurélien Bellanger une réflexion autour des images, et du rôle et de la place de la publicité dans notre société. Aurait-elle petit à petit remplacé l'art ?

À l’exposition que le musée de la Vie romantique consacrait à Baudelaire il y a quelques années, les deux choses qui m’avaient le plus marqué, c’étaient la petite photographie du poète, par Nadar, et une publicité pour du cirage...

Baudelaire et la publicité

Que la photo m’ait fasciné, rien d’anormal : ces incunables de la photographie ont quelque chose de fascinant. C’est comme si l’univers avait pour la première fois ouvert les yeux.
Le concept, en réalité, de ce genre d’image, est plus ancien que la photographie. On en trouve notamment la trace dans l'iconographie religieuse, remplie d’images acheiropoïètes — d’images réalisées sans l’intervention de l’homme. Le monde était désormais capable, sans l’intervention de la main et du regard, de se représenter lui-même. Le suaire de Turin, soudain, n’était plus qu’un vulgaire négatif, et c’est cela qu’il y avait dans les yeux de Baudelaire : la frayeur d’appartenir à un monde où l’image serait sécularisée, où le spirituel serait devenu matériel, où le regard serait devenu objectif, et où le poète n’aurait plus rien eu à vendre, maintenant qu’il aurait perdu, comme le peintre, le privilège de l’image.

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On trouve pourtant encore des images dans la poésie de Baudelaire, mais corrompues. Car le poète n’est plus qu’un marchand d’image, qu’un vulgaire colporteur — maintenant qu’il n’en est plus le producteur. C’est uniquement à la mort, à la mort comme bain révélateur, que Baudelaire concède une puissance poétique : 

La Mort, planant comme un soleil nouveau,    
Fera s’épanouir les fleurs de leur cerveau !

Le poète se sent ainsi regardé par un regard plus puissant que le sien — un regard déplié et objectif : celui de la publicité, comme monde des images ayant accédé à l’autonomie. Ce dont j’ai trouvé l’illustration dans les vitrines disposées tout autour de la photographie de Nadar. Des vitrines remplies par les exemplaires originaux des journaux dans lesquels Baudelaire a fait paraître ses textes pour la première fois. Ses critiques d’art, prises sur le vif, étaient ainsi perdues au milieu des publicités pour du cirage ou pour des lotions capilaires. Et je me suis dit qu’aucune édition originale, qu’aucun manuscrit autographe de Baudelaire ne pouvait être plus authentique que ceux-là.
Baudelaire avait bien agité la notion d’idéal dans un monde où les hommes perdaient leur cheveux - l’avait agitée comme on agite un flacon de lotion capillaire avant de l’appliquer, sans trop vraiment y croire : quoi de plus baudelairien que cela.
Et je fixais ainsi les promesses de ces publicités vieillies pour des remèdes périmés comme si c’était elles qui détenaient le secret poétique de leur temps.

La publicité comme idéal

Il y a presque vingt ans, les Cahiers du cinéma, l’organe officiel de la critique la plus intransigeante, présentaient toujours, au verso, la même publicité, avec Claudia Schiffer, pour des shampoings L’Oréal. C’était l'apothéose du Dogme de Lars von Trier, avec un film ultra brechtien tourné sans décor à même le sol nu du plateau, mais on ne savait plus trop qui jouait vraiment dedans, si c’était Nicole Kidman, qui faisait la couverture, ou Claudia Schiffer, qui secouait ses cheveux.
Aucune image n’avait en réalité l’air plus vrai que l’autre — le réel et l’idéal paraissaient interchangeables et on aurait pu tout aussi bien comprendre les enjeux esthétiques de l’époque en lisant les Cahiers à l’envers. 

La publicité a-t-elle remplacé l'art ? Elle tient en tout cas lieu de récit objectif, cohérent, désirable : elle tient lieu d’idéal.
Et si Baudelaire souffrait, sans doute, d’etre rabaissé au rang d’un vendeur de cirage ou de lotion miracle, il n’y a plus aujourd'hui, de star de cinéma qui ne considère les films qu’elle daigne encore tourner autrement que comme des publicités alimentaires destinées à assurer la promotion de leur véritable carrière — celle d’égérie d’une marque.