

Admissible à l’oral de la Villa Médicis, Aurélien Bellanger fut un temps de ceux qui dînent à l’Elysée... Et il marchait sur des oeufs : ce n’était pas le moment de déplaire au prince ! Pourtant, ça n'a pas fonctionné. Alors pourquoi ce sont les courtisans qui finissent toujours par réussir ?
Il faut que je vous raconte une aventure assez ridicule qui m’est arrivée.
Il y a me #MeToo, Black Lives Matter, le développement des ZAD, la crise des gilets jaunes, mes lectures de Benjamin, de Brecht et pour finir de Marx : bref, il m’était arrivé ce qui n’est pas censé se passer à quarante ans : j’étais devenu de gauche.
Parenthèse amusante, un ancien programmateur des Matins m’avait avoué un jour que l’une des causes premières de mon recrutement, jadis, comme chroniqueur, avait été mon libéralisme assumé, idéal pour colorer cette antenne qu’on accuse parfois, à tort, de stalinisme — le stalinisme de la bien-pensance. N’avais-je pas déclaré, à un journaliste de Challenge qui n’en attendait pas tant, que mon rêve dans la vie était de rouler en 4 x 4 et d’habiter à Défense ?
Ça ne s'est pas produit. Un inexplicable accident de parcours. J’aurais même tendance à me gauchiser encore. Je m’en suis rendu compte en écoutant Mélenchon, sur cette antenne, parler de la Commune : je l’avais trouvé un peu de droite, et presque plus du côté de Thiers que de Louise Michel.
J’avais justement ce jour là rendez-vous avec l’un de mes plus vieux amis, qui lit Le Point depuis toujours. Je lui racontais James Scott, l’anthropologue anarchiste, le Benjamin de Critique de la violence, je lui disais que ce monde était en train de mourir et qu’on repasserait bientôt de l’autre côté, du bon, de la révolution néolithique. J’oublie de dire que je venais de parler au téléphone avec une journaliste du Monde, à l'occasion des un an d’une réunion qu’avait organisée Macron avec le monde de la culture. Réunion dont j’étais, un peu inexplicablement.
J’oublie de dire aussi que j’étais alors admissible à l’oral de la Villa Médicis : j’étais de ceux qui dînent à l’Elysée, je pouvais bien être de ceux qu’on paye pour dire la beauté du monde sous des pins parasols, devant la façade façon album Panini du glorieux édifice.
Bref, je marchais sur des oeufs : ce n’était pas le moment de déplaire au Prince.
Pour un anarchiste, j’étais ce soir là remarquablement peu du côté de la liberté de la presse.
Je n’ai laissé je crois passer à peine qu’une seule moquerie, sur ce président qui n’aime rien tant que de repasser sans cesse son grand oral de l’ENA. Mais le pire était encore à venir : une conseillère du président, soudain, alors que je dissertais donc sur la lutte des classes un verre de champagne à la main, m’a appelé pour me prévenir que Le Monde risquait de m’appeler, et qu’elle était disponible pour me donner des éléments de langage. J’ai ricané bêtement : trop tard. Et en pleine montée d’alcool, je me suis dit qu’elle était probablement en train de se jouer là mon année à la Villa Médicis.
C’est tout le point de mon anecdote : cela n’a pas marché.
Et l’énigme n’en est restée que plus entière : aurais-je dû demander, je n’ai pas osé le faire, un coup de pouce élyséen ?
Mais n’a-t-on pas cru, à cause de ce satané article, dans lequel clairement je couvrais Macron, que j’avais manoeuvré en douce ? Et n’avait-on pas voulu m’évincer, dès lors, pour ne pas faire entrer le loup dans la bergerie ?
Courtisan : voilà clairement un métier difficile. Plus difficile encore que président de la République.
Mais les courtisans finissent par réussir, et j’ai compris pourquoi, à l’issue de cette séquence un peu ridicule : le courtisan réussit non pas car on le croit sincère, ni même potentiellement nuisible. Il réussit car il fait l’effort, ostentatoire, de croire aux grandeurs de ce monde. Ce monde qui n’a pas d’autres grandeurs que d’être aussi intensément cru par ceux qui veulent s’en emparer.
Pauvre monde, donc, qui se fait si souvent arnaquer qu’on en viendrait à le plaindre. Mais pauvre monde si rempli de courtisans qu’il en devient irrésistiblement joyeux.
Le courtisan, comme le dit à peu près Benjamin dans son essai sur le drame baroque, c’est ce qui vit encore quand la politique est morte. C’est la seule liberté qui reste aux grands mélancoliques.
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