La caricature est-elle un art de l’offense ? Une caricature qui ne dérange pas, est-ce encore une caricature ? Que nous dit celle de Macron en diable rouge à la Hell Boy en couverture d’un journal iranien ?
Je suis un homme blanc, dans une société plutôt blanche, et j’ai beau tout tenter, me laisser pousser une longue barbe, des moustaches à la Nietzsche, porter les cheveux longs, je n’échappe pas vraiment, comme ces rastas blancs qui hantaient ma jeunesse, à la profonde banalité de mon visage.
L’ordinaire et sa caricature
Un ami peintre, d’habitude sympathique, m’a même fait récemment poser au Louvre devant un insignifiant portrait de gentilhomme, en remarquant qu’on avait tous les deux le même air — l’air hébété, voire un peu con, des gens interchangeables.
J’étais tout au plus, du point du vue éclairé de l’histoire de l’art, dans les standards occidentaux. Caricaturalement banal.
Je vous passe le commentaire que j’ai récolté sur Instagram, sous un selfie masqué, et certes un peu idiot, de moi avec La dentelière de Vermeer : “Gros lourdaud, gros yeux bovins”.
À la limite, j’aurais pu m'enorgueillir d’échapper ainsi ma banalité occidentale.
Ce n’est pas si évident de se représenter à quelle caricature on pourrait ressembler.
J’habite pas très loin de la place du Tertre, le supermarché parisien de la caricature, le Charlie Hebdo en plein air où des anonymes viennent du monde entier se faire défigurer pour une vingtaine d’euros.
Et ça ne m’est jamais venu à l’idée, même au plus fort de mes poussées narcissiques, d’aller me faire caricaturer là-bas. Rien n’est plus laid qu’une mauvaise caricature.
Les Macron standards qu’on produit là-bas, avec leurs dents du bonheur et leurs grands nez, me dégoûtent viscéralement.
Je ne déteste pas les caricatures. J’ai connu l’époque, dans les années 80, où Plantu était presque aussi bon que le jeune Hergé. J’ai lu, chez ma grand-mère, à la fois un recueil de Jacques Faizant, et un album du Grand Duduche — apprenant du même coup, dès l’enfance, comme être adolescent et comment devenir un vieux con.
Par contre, je pense qu’il faut garder, dans ces débats un peu explosifs sur les caricatures, un minimum de sens esthétique.
Cela ne conduirait-il pas à les dépolitiser ? Vaste débat. Trancher peut-être trop radicalement, dans les deux sens, par le New York Times, quand il a décidé d’arrêter de faire appel à des caricaturistes, et par Charlie Hebdo, quand il a décidé de republier les caricatures objectivement mauvaises d’une dessinateur danois.
La caricature comme art de l’offense
Mais une caricature qui ne dérange pas, est-ce encore une caricature ? Certes. Mais avons-nous sérieusement été jamais offensé par une caricature ? C’est toujours les autres, qu’on caricature.
Mais bonne nouvelle, et premier pas, certes très personnel, dans mon appréhension de la caricature sous cette catégorie nouvelle de l’offense, j’ai été presque offensé par une caricature.
Vous avez vu sans doute cette caricature de Macron en diable rouge à la Hell Boy en couverture d’un journal iranien ?
Ce Macron n’avait pas l’air simplement méchant, il avait l’air méchant d’avoir l’air trop occidental. Et cela m’a rappelé ces Arabes de fiction qui peuplaient les séries américaines de l’après 11 septembre : ils portaient, sur leur visage, qu’ils étaient des terroristes. D’ailleurs, dans 24 Heures chrono, série la plus emblématique d’alors, la même intrigue se répétait souvent : un protagoniste à l’air arabe était pris pour un terroriste, c’était jugé raciste, le temps d’un épisode ou deux, mais rapidement les choses revenaient à leur place, quand il s’avérait qu’il s’agissait bien d’un terroriste.
Que le visage de Macron, mon visage, celui de n’importe quel occidental aux traits un peu standards, de n’importe quel portrait du Louvre au hasard puisse échapper à sa banalité, et se transformer en allégorie du mal, cela m’a étonné.
Pas offensé non plus. Mais c’était la première fois, tout simplement, que je me suis senti racisé.
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