La psychanalyse est-elle un spectacle ? Y a-t-il un usage métaphysique de la psychanalyse, comme un phénix qui renaît, à chaque rendez-vous, pour mieux réduire le monde en cendres ? N'est-ce pas l'inconscient qu’on libère, pendant la séance, mais le monde qu’on emprisonne et qui se débat ?
Initialement, la psychanalyse a évidemment un rôle clinique : les premiers cas de Freud, qui donneront lieu à ses travaux canoniques — l’homme au rat, Anna O., le président Schreber — vont spectaculairement mal. Ou articulent, si l’on préfère, spectaculairement bien la grammaire de l’inconscient.
Le spectacle de l'analyse
Suivra, d’abord à Vienne, puis en France, en Argentine et dans le New-York de Woody allen, l’incroyable vogue de la psychanalyse — de la psychanalyse envisagée comme un fait social, une pratique distinctive.
On va chez son analyste comme on va au cinéma. La séance est un peu chère et un peu plus courte.
Lacan invente même, avec sa célèbre scansion, le concept d’un entracte après lequel le spectacle ne reprend pas. Mais la psychanalyse comme spectacle, justement, a ses fans. On se raconte les brutalités de Lacan comme de bonnes histoires drôles. Un recueil en existe même. Moins drôle qu’on pourrait s’y attendre.
La psychanalyse, à un moment de son histoire, est-elle devenue un pur divertissement ? C’est la sympathique folie en tout cas de la geste lacanienne : avant l’essor de la planche à voile et du wingsuit, la psychanalyse aura été l’un des premiers sports extrêmes auquel la bourgeoisie aura goûté.
On n’allait plus chez son psy pour aller mieux, mais pour se faire un peu peur.
Personne n’a envie, en prenant l'ascenseur, qu’il dévisse de 5 étages. Mais on va passer la journée à Disneyland pour se laisser tomber de joie dans une maison hantée. De même qu’on détesterait faire des cauchemars éveillés, mais qu’on ne déteste pas entrouvrir en plein jour les gouffres de l’inconscient.
La psychanalyse comme gnose
Cette conception un peu caricaturale de la psychanalyse a le mérite de lui rendre sa théâtralité religieuse : cela ouvre la séance sur quelque chose de plus grand que la cure.
Il y a un usage métaphysique de la psychanalyse : c’est un phénix qui renaît, à chaque rendez-vous, pour mieux réduire le monde en cendre.
Les deux infinis, que Pascal tenait en laisse comme des démons destiné à dévorer le monde, on les retrouve ainsi dans les dents du hachoir lacanien de la scansion — les deux crochets d’un serpent borroméen qui vient empoisonner le monde extérieur pour mieux l’avaler d’un coup.
Et ce n’est pas l'inconscient qu’on libère, pendant la séance, c’est le monde qu’on emprisonne et qui se débat, frémissant et progressivement gagné par la mort, dans la gorge de l’analysant.
Il est là, le rituel incomparable, le grand frisson de la psychanalyse, cette doctrine gnostique qui nous enseigne que ce monde est faux et qu’il n’y a de réel que l’inconscient — cette prodigieuse machine fantasmagorique, ce logos tout aussi capable que le verbe divin de libérer un monde de sa gangue illusoire — quelle soit physique ou psychologique — pour lui donner une forme plus aboutie et plus libre.
Il faut rendre la psychanalyse à l’histoire du spectacle — et à l’intérieur de celle-ci bien lui attribuer sa place : c’est un spectacle religieux.
Comme il y a eu de la peinture d’autel.
De celles qui montrent, comme chez Rubens, Saint François et Saint Dominique sauvant un monde que le serpent est prêt à engloutir. Sauf que ce serait ici le serpent qui devrait sauver le monde des ces figures anthropomorphes de la névrose.
Serait-ce alors par fascination pour le mal qu'on entreprendrait une psychanalyse ?
Ce serait l’une des méthodes qu’il existerait pour réussir, oui, à se le représenter.
Ce qui, en soi, serait thérapeutique — en tout cas cathartique.
Et d’ailleurs les gens que je connais qui sont en analyse me disent qu’ils ne le sont pas pour eux, mais pour les autres : pour supporter qu’ils aillent aussi mal, et qu’ils soient, autour d’eux, comme des fantômes mécaniques.
La psychanalyse est bien un dispositif de projection.
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