L’appli SNCF, la nouvelle maison qui rend fou ?

La maison qui rend fou, pour ceux qui ne voient pas, c’est une séquence géniale du film Les 12 travaux d’Astérix, qui raconte les aventures de notre Gaulois à travers un immeuble de l’administration romaine, à la recherche du formulaire A-38 — satire géniale du monde de la bureaucratie. 

La drame de l'expérience utilisateur

Je dois cependant préciser, avant qu’on m’accuse de tirer sur l’ambulance des services publics, que l’un des premiers travail que j’ai exercé a consisté à ranger des feuilles d’impôts dans une administration lavaloise, et que, contrairement au cliché encore trop répandu, tout est très bien organisé là-bas : une couleur par année, des armoires rangées par communes, des classeurs bien tenus.
J’ai bizarrement adoré ce travail, j’ai été parfaitement heureux, pendant ces deux mois passés dans la maison qui rend soi-disant fou. Et c’est, je crois, tout le problème.

Les administrations sont bien tenues, c’est incontestable. Obéissant scrupuleusement à leur logique interne. Qu’on m’avait enseignée.
Et de fait, j’étais de l’autre côté, plus de celui de l’usager. L’usager qui s’en fiche un peu, que tout soit bien rangé, dans le grand immeuble de l’administration fiscale. Et qui n’en voit que la façade externe. Laquelle, spécificité lavaloise, est étrangement courbe  — toute proportion gardée la petite cité administrative ressemble à l’Unesco. Tordre un bâtiment administratif, c’est, architecturalement, un trait de génie. Car qui, au moment de remplir sa déclaration d’impôt ne se trouve pas brutalement transporté dans une sorte de partie d’échec cauchemardesque impliquant un espace à la géométrie non-standard. Vous me répondrez que l’état, c’est moins pire qu’avant. Que c’est prérempli, par exemple. Que l’appli n’est pas si mal. Et c’est probablement vrai. La modernisation de l’état : il y a même, je crois, un ministère pour ça. Sauf qu’il arrive toujours à un moment où on finit en larme ou furieux devant un guichet quelconque. Voyons par exemple ce qu’il en est de l’application SNCF.

La cathédrale des services publics

Ai-je vécu une expérience de réservation douloureuse ? Evidemment. Et je ne vous parlerais pas pourtant de ce Briare-Paris passé presque en détention, sur une plate-forme, entre deux policiers en civil encore plus patibulaires qu’un tract du syndicat Alliance, parce que mon appli bancaire avait mal parlé à mon appli SNCF  — moi qui, innocemment, était venu jusque là pour admirer le pont-canal, chef d’oeuvre de l’ingénierie française, et qui ignorait que le chef d’oeuvre de l’ingénierie française, c’était désormais l’infaillible et la plébiscitée appli SNCF. Plébiscitée, tu m’étonnes !
Non seulement c’est catastrophique à l’usage, mais en plus on nous oblige, avant de partir, à répondre à un sondage tourné de telle manière qu’il n’admet que des réponses élogieuses !
L’appli nous engueule littéralement de ne pas être fichu de la comprendre !
Bref, j’avais cette fois voulu, dans un hybris insensé, réserver 5 places, tarif famille nombreuse — car la SNCF est évidemment nataliste, et que dans un mouvement de faiblesse j’avais cédé à une injonction obscure qui consistait à faire un troisième enfant pour bénéficier de la carte mythique.
Eh bien il s’est avéré, tout simplement, que c’était impossible. Alors je me suis rendu à un guichet.
Ça tombe bien, j’étais allé à Chartres, avec le vent dans le dos, j’étais en avance sur mon train : c’était l’occasion rêvée.
Et c’est ainsi que j’ai passé plus de temps à un guichet SNCF que devant les plus beaux vitraux du monde — en vain, évidemment : il me manquait des documents — la fameux formulaire A-38, ou équivalent.
Mais en ouvrant l’appli, dans un ultime défi, en attendant mon train, j’ai découvert en haut à droite cette orgueilleuse mention : 87.1.0

Ces numéros indiquaient que l’insupportable appli, l’une des reines de l’appstore français, en était à sa 87ème version et des poussières.
Dans le genre travaux infinis, c’était un autre genre de cathédrale, et je devais m’agenouiller devant sa splendeur.