

Pour Aurélien Bellanger, la seule chose à laquelle nous ne croirons jamais, c’est à l’existence des atomes... L'atomisme est hospitalier, mais un peu rustique, manque un peu de chatoyance.
Il y a quelques mois quelqu’un avait lancé sur Twitter le concours suivant : toute la science a disparu, quel serait le tweet qui permettrait de la reconstruire en totalité ?
La réponse la plus populaire était la suivante : les atomes existent.
Je crois pourtant, au fond de moi, que la seule chose à laquelle nous ne croirons jamais, c’est à l’existence des atomes.
A l’idée que des variations de quantité, nombre de protons, de neutrons et d’électrons, suffisent à définir des variations de qualités.
A l’idée que le désordre ou l’ordre apparent des choses ne seraient dus qu’à des atomes alignés en position cristalline ou bouillonnant sur la mer agitée du mouvement brownien.
Toute la physique, pourtant, le proclame, la physique comme épopée réductionniste : aussi loin que vous irez, sur les anneaux de Saturne, dans le fond des trous noirs, entre les synapses des humains, vous tomberez sur de rugueux atomes. Le tapis-brosse de la réalité sur lequel on aurait écrit, avec une certaine ironie, le mot “Bienvenue”.
L'atomisme est hospitalier, mais un peu rustique. Ca manque un peu de chatoyance. Le récit concurrent ou inverse du réductionnisme, sans ranger tout à fait les atomes au magasin des antiquités, fait appel au concept plus onctueux d’émergence : à chaque niveau de la réalité, des propriétés nouvelles feraient leur apparition.
La fraîcheur n’est pas une propriété de l’oxygène, ni de l'hydrogène, mais une propriété de l’eau. La douceur d’une main n’est pas une propriété des atomes de carbone qui la composent. On traverse ce monde, émerveillé, comme des batteurs à oeufs dont les mouvements transforment la matière glauque et visqueuse en neige éblouissante.
La poésie et le concept d’émergence
Novalis, le poète allemand, ingénieur dans les mines de houille et de sel de la Saxe, a justement passé sa courte vie à tenter de concevoir qu’elles pourraient être les propriétés futures, encore non-existantes des choses.
La poésie, dans cette perspective, pourrait jouer, littéralement, le rôle d’un laboratoire de physique où l’esprit délié du poète partirait à la rencontre, sur la crête du monde, des propriétés encore inaperçues de la matière.
Il serait alors tenté de les confondre avec la vie.
Les seuls atomes que le poète serait disposé à admettre sont ses propres idées et impressions : là serait le vrai matériel du monde, sa houille et son sel véritable.
J’aime bien l’idée que la poésie de Novalis serait alors comme une réfutation de l’atomisme... ce n’est au LHC, pas autour d’un accélérateur de particule, que doit se régler la question de l’atomisme.
Après tout c’est par un poème que Lucrèce lui a donné sa forme la mieux achevée, dans les 7400 hexamètres du De Rerum natura.
Et c’est peut-être Baudelaire, de l’autre côté du temps, qui l’a le mieux réfuté.
Qui a, dans quelques-uns de ses meilleurs poèmes, écartelé les atomes pour entrevoir, à travers eux, l’existence d’un monde qui ne leur devrait plus rien.
C’est toute la dynamique, par exemple, de la merveilleuse Charogne.
La chose qui se décompose, les grains emportés de la matière, la mort elle-même, soudain, cesse de tomber, de tomber de cette chute qui était chez Lucrèce le dernier mot de la matière.
L’atomisme cesserait, ici, d’être valable ?
Une physique nouvelle apparaît en tout cas, dans cette ébauche abandonnée. Un nouveau paradigme, une ontologie inexplorée. Devant la charogne, face à la mort dans ce qu’elle a de plus plat, de plus rêche et de plus atomique, Baudelaire parvient paradoxalement à faire traverser à la vie, au concept fragile, émergent de la vie, le rideau glacé des atomes.
Son diffusé :
- La charogne, de Baudelaire, lue par Léo Ferré
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