

Une réflexion d'Aurélien Bellanger, à l’écoute du bruit de l’univers, ou pourquoi l’écologie devrait relever du merveilleux technique, et pas seulement de l’épure puritaine, pour relever les grands défis de demain...
C’est à peu près l’argument d’un film, le quatrième Star Trek, sorti en 1986 : la Terre, dans le futur, est menacée par une entité spatiale dont on ne sait pas grand chose, sinon qu’elle émet des bruits qui ressemblent à ceux d’une baleine — animal depuis longtemps disparu.
Le merveilleux scientifique
À la recherche d’un interprète, l’Enterprise retourne alors dans le passé, et repart dans le futur, avec deux baleines, sauvées in extremis dans la mer d’Alaska. Un court dialogue, dont nous ne saurons rien, a alors lieu entre les cétacés spatiaux, et l’entité hostile renonce à conquérir la Terre.
On n’en saura pas plus, en fait — s’agit-il de l’esprit vengeur d’une baleine venu harponner la terre ?
J'oublie de dire que je n’ai pas vu le film — je n’en connais que le résumé, mais cela suffit à faire des ces baleines flottant dans l’espace l’un des plus beaux mythes que je connaisse. Ceci expliquant peut-être cela.
Si l’écologie a la moindre chance de nous sauver, c’est en allant puiser dans ce genre de mythe sa substance — l’écologie doit relever, aussi, du merveilleux technique, et pas seulement de l’épure puritaine.
Revenir à cette autre source, qui ne serait pas l’extase rousseauiste, mais ces joyeux bricolages du XXème siècle finissant.
Je suis certain qu’il y a ainsi une source spirituelle pour l’écologie de demain. Il faut refaire une place à Bill Gates à côté de Greta Thunberg.
Je suis fasciné par la façon qu’a Bill Gates, VRP improbable des toilettes sèches et des réacteurs nucléaires portatifs, d’articuler — c’est l’un des derniers à le faire encore — l’impératif écologique en langage technique. Autrement dit à parler de la fin du monde au lecteur de Science et Vie.
Je me suis justement fait cette remarque, devant la table écologie de la librairie Gibert : toute cette littérature d’une extrême finesse sur la grande crise que nous sommes en train de vivre ne représente probablement, en terme de vente, que la moitié de celle que le moindre pamphlet techno-optimiste d’un Laurent Alexandre peut réaliser — la mauvaise humeur des baby-boomers ne pouvant être tout à faite exclue de l’équation écologique.
À l’écoute du bruit de l’univers
Je me disais en tout cas que l'écologie radicalemanquerait de force tant qu’elle continuerait, boudeuse et janséniste, à se priver de l’appui tactique du merveilleux scientifique.
Le futur a toujours été quelque chosequ’on s’est plu à construire, jamais à détester.
La crise écologique doit redevenir ni plus, ni moins, qu’un adversaire de conte de fée — un rite initiatique, pour nos civilisations techniquement avancées.
Et j’en reviens ainsi à mon histoire de baleines spatiales : ça m’a rappelé ce qu’on écoutait, en 1986, souvenez-vous : des disques entiers de chant de baleine.
Personnellement, je n’ai jamais possédé ces étranges objets. Et pourtant, je me souviens de ce que j’écoutais, en 1990 : le vrombissement silencieux de ma platine CD, qui faisait, contrairement au bruit de canyons martiens des vinyls, un bruit blanc énigmatique.
Et en passant d’une plage à l’autre, une oreille attentive percevait, derrière la fenêtre océanique des cristaux liquides, des silences abyssaux.
C’était cela, le bruit que faisait l’univers dans mon enfance. Etait-il proche de celui d’une baleine ?
C’est peut-être quelque chose que je reconstruis a posteriori. Mais je crois voir maintenant pourquoi ces images et ces sons me sont revenus : la baleine échouée dans l’espace, le bruit blanc de l’âge de l’information, tout cela désigne le dernier grand mythe du merveilleux scientifique : l’histoire de la mort, bouleversante, du radiotélescope d’Arecibo — le Moby Dick de l’astronomie, récemment harponnépar son propre récepteur.
Nous vivons dans une bulle de silence, comme l’océan, après la disparition de sa dernière baleine, mais nous allons revenir bientôt, c’est certain, à la surface de l’eau.
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