Réflexions autour de la notion d'original, en littérature, en gravure, en BD et jusqu'aux jeux-vidéo : la copie peut-elle devenir un original ? L’original, serait-ce finalement ce que désire le collectionneur ?
C’est une question que je m’étais posé, à l’occasion d’un petit travail sur Walter Benjamin, qui m’avait conduit droit à son bureau parisien : la Bibliothèque Nationale.
La Bible à l'ère de la reproductibilité technique
J’avais même obtenu une sorte de pass, qui me donnait accès à tout ce que je voulais.
Comment choisir ? Je suis du genre à aller voir La Joconde quand je vais au Louvre, alors j’ai demandé à voir la Bible de Gutenberg.
C’était à peu près aussi spectaculaire que dans les films de braquage : en cas d’incendie, on se serait ainsi fait asphyxier par du gaz carbonique.
Et j’ai eu sous les yeux, en retenant mon souffle et pour moi seul, l’un des deux exemplaires conservés ici, sur la trentaine qui restent dans le monde.
Une trentaine d’exemplaires, ça ne fait pas un original, et c’est tout le paradoxe : à la recherche de la pièce rare, comme tout amateur qui se respecte, j’avais choisi sans réfléchir l’objet à partir duquel le concept d’original, en tout cas dans le domaine littéraire, avait perdu sa pertinence.
La plus originale des Bibles de Gutenberg, ce n’était pas ainsi celle à laquelle il manquait des pages, ni celle dans laquelle le rouge enluminé des lettres avait été peint à la main. C’était la plus banale, la plus normalisée, la plus mécanisée de toutes — notamment celle dans laquelle les rouges avaient été eux-même imprimés.
La copie comme original
Les choses ne se sont en tout cas pas arrangées quand j’ai demandé à voir l’original de La mélancolie de Dürer : l’original d’une gravure, c’est par nature un anti-original. Encore plus si la plaque a disparu.
Ce que j’avais sous les yeux — et j’en étais pourtant émerveillé — n’existait à peine plus que les reproductions que j’avais pu en voir, puisqu’il ne s’agissait, par essence, que d’une reproduction.
Mon enquête m’a alors conduit à Angoulême, au musée de la BD. J’ai eu accès, là aussi, au saint des saints du culte de l’original, à la salle réfrigérée pleine de meubles à tiroir où sont conservés des originaux d’Hergé, de Franquin, de Macherot.
Mais quelque chose n’allait pas : les planches, des crayonnés réhaussés d’encre, étaient trop grandes, et sans couleurs.
Les originaux ce n’étaient pas ces pâles copies muséales, mais les albums mal imprimés de mon enfance.
Le marché de la BD accorde d’ailleurs une place de choix, juste en-dessous de ces originaux problématiques, aux premières éditions : c’est même parfois là, pour les Comics, que se font les records de vente — même pas des livres, mais de simples périodiques.
Les vrais originaux d’Hergé, ce sont peut-être tout simplement les abonnés du Journal de Tintin qui les ont reçus chez eux.
Je connais, derrière l’église Saint-Vincent-de-Paul, une librairie de BD qui ne vend que des périodiques — c’est moins une boutique qu’une balle de mauvais papier, comme on en voit, le long du RER, dans les usines de recyclage. Et je me dis pourtant à chaque fois que je passe devant qu’ils sont là, les vrais originaux du monde moderne, moitié déchet, moitié trésor.
Le collectionneur d’originaux devrait-il se faire chiffonnier,au risque de s’y perdre ?
À moins d’inventer sans cesse de nouvelles techniques pour restaurer sans fin la splendeur perdue de l’original.
L’original, serait-ce alors ce que désire le collectionneur ?Et rien d’autre que ça peut-être. Le désir presque comme une coquille vide. C’est ce que j’ai découvert en allant voir à Drouot une vente de jeux vidéos. Les plus chers, c’étaient les jeux qui n’avaient, exceptionnellement, pas été déblisterisés. L’original à l’état pur, et voué à le rester : car celui qui achèterait ce Supermario se garderait bien d’ouvrir son emballage scellé — tout simplement car il risquerait de découvrir que cette cartouche de jeu, dont la côte ne cesse de monter, est peut-être manquante, depuis l’origine …
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