Qu’est-ce que qu’un romancier policier ?

Qu’est-ce que qu’un romancier policier ?
Qu’est-ce que qu’un romancier policier ? ©Getty - Boris Zhitkov
Qu’est-ce que qu’un romancier policier ? ©Getty - Boris Zhitkov
Qu’est-ce que qu’un romancier policier ? ©Getty - Boris Zhitkov
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Un roman policier commence par un cadavre, car ce sont ces yeux, fermés pour l’éternité, qui vont pourtant se rouvrir, en empruntant ceux du détective — ainsi que son esprit... comme une séance de spiritisme ?

Un romancier policier ? C’est en général un roman où quelqu’un meurt. Disons à 99 %.
Ça exclue La Lettre volée, de Poe, et d’autres exercices de style du même genre, mais c’est un bon point de départ. 

La gravité métaphysique du roman policier

Il faudrait peut-être préciser un peu, aussi : par exemple quelqu’un meurt, c’est programmatique, dans La mort d’Ivan Illich, de Tolstoï, mais cette mort ne fait pas l’objet d’un traitement policier. Peut-être parce qu’elle est trop lente à survenir. En même temps, cette lenteur irrévocable, c’est un peu le sujet du livre — et on sent que du point de vue d’Ivan Illich ça va déjà beaucoup trop vite.
Mais l’enquête est en quelque sorte inversée : la mort est à la fin, au lieu d’être au début. Sauf que livre commence, innocemment, par notre héros qui range un livre dans sa bibliothèque, et qui, en perdant l’équilibre, tombe de son escabeau et se démet l’épaule. Rien de bien grave, et la vie suit son court. Sauf qu’on apprendra à la fin que le mal qui devait emporter Ivan partit de son épaule : en quelque sorte, sa chute, nous l’ignorons alors, était déjà fatale.

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Mais La mort d’Ivan Illich n'est pas un roman policier.Déjà il n’y a pas de coupable, sinon le pur hasard, la maladresse — voire la malignité de l’auteur. Et surtout il n’y a pas d’enquête : qu’on doive tous mourir, merci Tolstoï, on le savait déjà. 

Mais j’ai lu, récemment, et je dois vous avouer que je ne le fais jamais, un polar authentique. Un classique du genre : Brouillard au Pont de Tolbiac, de Léo Malet. Un bon vieux Nestor Burma. Et la chose était un petit événement, pour moi. Qui déteste tellement que les gens meurent que dois vous avouer que récemment, je n’ai pas réussi à finir le fameux Columbo qu’a réalisé Spielberg. Trop violent pour moi. Alors que je n’ai aucun problème à regarder La liste de Schindler. Aucun problème, je veux dire : j’y arrive. Alors que je craque, très vite, devant un Columbo lambda. On sous estime, je crois, la gravité métaphysique du roman policier. 

Les dernières volontés du mort 

J'ai compris ce qu'il y a de si singulier dans un roman policier en lisant Brouillard au pont de Tolbiac, quand Nestor Burma se rend à la convocation d’un cadavre — une vieille connaissance à lui, qui l’a fait venir, mais qui est morte entre temps. Et il se retrouve classiquement à la morgue. Face à un cas qu'il lui faudra éclaircir pour une fois gratuitement. Car le commanditaire de l'enquête, cette fois, ce sera la cadavre. 

Et voilà ce que c’est qu’un polar, sous sa forme la plus pure. Il faut que ça commence par un cadavre car ce sont ces yeux, fermés pour l’éternité, qui vont pourtant se rouvrir, en empruntant ceux du détective — ainsi que son esprit.
C’est presque une histoire de possession ou de zombification, un polar.
Privé soudain de volonté propre, se confondant avec son enquête, le détective va réaliser les dernières volonté du mort. Mort qui survivra ainsi, par procuration, le temps que la vérité se fasse. Sauf que la vérité, lui, il la connaît. Mais il faut qu’il arrive à faire passer cette connaissance du monde des morts à celui des vivants. 

Le roman policier est-il finalement comme une séance de spiritisme ? Je crois que oui.
Et c’est ce que Léo Malet a approché dans ce polar souvent tenu pour son chef d’oeuvre.
Polar proustien, dans lequel Burma enquête aussi sur son passé anarchiste. Et se dédouble presque, en la personne d’un détective enquêtant depuis plus de 20 ans sur l’affaire qui sous-tend celle-ci. Un détective authentiquement revenu du monde des morts, en tant qu’ancien déporté de Buchenwald. Et dont Burma va un temps convoyer le cadavre sur le pont de Tolbiac — un pont entre les vivants et les morts — pour le délivrer enfin, en résolvant l’énigme qui l’empêchait de vivre, ou qui l’empêchait de mourir.