Trump et Twitter : a-t-on encore le droit de faire des comparaisons avec les années 30 après le point Godwin ?

Twitter a fermé le compte de Donald Trump
Twitter a fermé le compte de Donald Trump  ©AFP - Justin Sullivan/Getty Images
Twitter a fermé le compte de Donald Trump ©AFP - Justin Sullivan/Getty Images
Twitter a fermé le compte de Donald Trump ©AFP - Justin Sullivan/Getty Images
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Twitter a-t-il bien fait de fermer le compte de Donald Trump ? C'est le débat qui agite les réseaux. L’opinion éclairée continue à vouloir descendre dans l’arène et à défier les fascistes à la loyale... comme si on pouvait encore se permettre d’autres défaites ?

Nous sommes en tout cas moins d’une semaine après ce qui ressemble le plus, dans tout ce qu’on a pu voir depuis bientôt un siècle, à l’incendie du Reichstag, et sur les réseaux on ne parle quasiment plus que de cet autre putsch qui a consisté à bannir Trump de Twitter. 

L'opinion éclairée et ses défaites

L’humeur du moment, sordide, sur le Twitter francophone, de François Ruffin à Peggy Sastre, est à la défense, intransigeante, absolue, de la liberté d’expression.
On voit même réapparaître cette désolante citation apocryphe de Voltaire : "je ne suis pas d’accord avec ce que vous pensez mais je me battrai à mort pour que vous puissiez le dire".
Ce qui donne, actualisé : "je ne suis pas d’accord avec votre tentative de coup d’état fasciste mais je me battrai à mort pour que vous puissiez l’organiser quand même".

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L’opinion éclairée, la même que n’a vu venir ni Trump, ni le 6 janvier 2021, et qui n’a pour elle que la fragile victoire de Biden, continue à vouloir descendre dans l’arène, et à défier les fascistes à la loyale — comme si on pouvait encore se permettre d’autres défaites. 

Est-ce que ce n’était pas, déjà, le projet de certains, en 1933 : faire que le parti nazi, en perte de vitesse, se ridiculise définitivement dans l’exercice du pouvoir — ce qui s’est produit, bien sûr, mais cela aura quand même pris 12 ans et 50 millions de morts. 

La liberté d’expression, c’est un fait malheureux, les fascistes l’utilisent souvent mieux que les démocrates.
Les cornes de bison de l’insurgé du Capitole ont mieux imprimé nos imaginaires que les plates Converse de Kamala Harris…

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Un paradoxe temporel résolu

Non seulement Twitter a bien fait de fermer le compte de Donald Trump, mais cela ne devrait même pas faire débat — sans exonérer pour autant le rôle dévastateur qu’ont pu avoir les réseaux sociaux.
Mais de là à défendre le compte de Trump, au nom de la liberté d’expression, pour s’en prendre au monopole de ceux-ci : c’est exactement la même chose que si, au lendemain de l’incendie du Reichstag, on avait écrit : certes les nazis exagèrent mais je tiens pour également responsables, sinon plus, les mauvais choix opérés dans les matériaux de construction.

Et oui, je suis désolé de m’enfoncer ainsi dans l’enfer de Godwin, mais je crois qu’on a enfin la réponse à la question préférée des amateurs de paradoxes temporels : fallait-il tuer Hitler enfant ? 

La réponse, les défenseurs obsessionnels de la liberté d’expression viennent de nous la donner. Il ne fallait, en aucun cas, tuer Hitler, ni en 1889, ni en 1932. Et encore moins peut-être en 1932 qu’en 1889, car dans l’ontologie paresseuse de nos contemporains les plus libéraux, ces sortes casuistes électroniques de la Rome finissante, l’infanticide est moins grave que le déni de démocratie : et empêcher le président américain de demander à ses supporters, à mots à peine voilés, de prendre d’assaut le Capitole — action qui eut, qu’on ne l’oublie pas, comme conséquence directe la mise à mort d’un policier avec extincteur — ce serait être un fasciste soi-même.
Il faudrait faire preuve de modération précisément ici, en ne modérant pas les appels répétés du plus célèbre des utilisateurs de twitter au meurtre.

Les années 30 sont devant nous, et cela exige d’agir en conséquence. L’édition de Mein Kampf qu’on peut se procurer, aujourd’hui, en librairie, comporte un avertissement pour le moins ambigu : ce serait le fac-similé d’une traduction voulue par l’état-major, pour alerter les consciences, en 1934. Je ne sais pas si c’est vrai, mais ceux qui défendent aujourd’hui la liberté d’expression de Donald Trump me font penser à ce mystérieux état-major. Dont on aurait aimé qu’il excelle moins dans ce genre de tactiques douteuses, et plus dans sa stratégie anti-nazie de 1940.