Etre européen, c’est avoir la nostalgie de la littérature

La librairie Lello, aussi connue sous le nom de Librairie Chardron ou Librairie Lello et Irmão, est une librairie située dans le centre historique de la ville de Porto au Portugal.
La librairie Lello, aussi connue sous le nom de Librairie Chardron ou Librairie Lello et Irmão, est une librairie située dans le centre historique de la ville de Porto au Portugal. ©Getty - Omar Marques/SOPA Images/LightRocket
La librairie Lello, aussi connue sous le nom de Librairie Chardron ou Librairie Lello et Irmão, est une librairie située dans le centre historique de la ville de Porto au Portugal. ©Getty - Omar Marques/SOPA Images/LightRocket
La librairie Lello, aussi connue sous le nom de Librairie Chardron ou Librairie Lello et Irmão, est une librairie située dans le centre historique de la ville de Porto au Portugal. ©Getty - Omar Marques/SOPA Images/LightRocket
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A l'heure où l'Europe doute, tremble et semble s'interroger sur son projet et ce qui la fonde, la littérature peut apporter un éclairage, car les deux ont en commun d'être un doute et une espérance, une angoisse et un élan.

Aujourd'hui je voudrais vous parler de l’Europe des écrivains, de l’Europe littéraire, et même de l’Europe comme littérature. Pour amener cette idée, je voudrais  faire un détour, citer un texte qui en est apparemment assez éloigné, mais que je lui associe spontanément, à cette idée de l’Europe-littérature, et surtout que j’ai tout le temps envie de citer, alors j’en profite…

C’est une conférence prononcée par Michel Foucault, à Bruxelles, en 1964, une intervention orale, donc, au cours de laquelle le philosophe définissait la littérature comme un espace vide, et, je cite, « une blancheur essentielle où naît la question ‘Qu’est-ce que la littérature ?’, une blancheur essentielle qui est cette question même ». 

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Ainsi, la littérature serait un vide, une perpétuelle absence, un espace impossible à circonscrire, un trou à l’intérieur du langage, une béance qui crée le désir, aimante la phrase et allume les mots, bref on pourrait dire qu’être écrivain c’est avoir la nostalgie de la littérature, mais en disant cela, justement, je convoque déjà l’Europe, puisque je paraphrase une formule de Kundera qui propose la définition suivante : l’Européen, c’est celui qui a la nostalgie de l’Europe. 

L'Europe, le nom d'une crise de conscience

Et de fait, si l’Europe a partie liée avec la littérature, ce n’est pas seulement parce que le Vieux continent en a été le terreau historique, le berceau de Dante, de Cervantes, de Shakespeare ou de Molière, c’est aussi et peut-être surtout, plus profondément, plus spirituellement, parce que l’Europe a en commun avec la littérature d’être avant tout un doute et une espérance, une angoisse et un élan qui se résument finalement à cette question encore et toujours relancée : « qu’est-ce que l’Europe ? » 

Comme en témoigne d’emblée la mythologie grecque, l’histoire de l’Europe se confond avec celle d’un arrachement, d’un décentrement, sa trajectoire n’est qu’un perpétuel changement de cap, son unité tient à son morcellement, son esprit même implique une dissidence à soi, son identité réside dans le refus de voir son identité se refermer sur elle-même. Depuis toujours Europe est le nom d’une crise de conscience, le spectacle d’une vaine union, la scène d’une identité introuvable et, nous y revoilà, d’une rêverie partagée, d’un imaginaire commun, d’un récit collectif qui est à la fois inaccessible et nécessaire à sa survie. Etre européen, en ce sens, ce ne serait pas seulement se demander sans cesse, avec angoisse et exaltation, « Qu’est-ce que l’Europe ? ». Etre européen, ce serait avoir la nostalgie de la littérature.  

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