Face au despotisme, la comédie de l'indifférence ?

Invasion de la Tchécoslovaquie par les chars russes en 1968.
Invasion de la Tchécoslovaquie par les chars russes en 1968. ©AFP - Marc Garanger / Aurimages
Invasion de la Tchécoslovaquie par les chars russes en 1968. ©AFP - Marc Garanger / Aurimages
Invasion de la Tchécoslovaquie par les chars russes en 1968. ©AFP - Marc Garanger / Aurimages
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L'actrice Simone Signoret, comme tant d'autres hier et aujourd'hui, a joué la "comédie de l’indifférence", fondée sur le refus viscéral de distinguer entre démocratie et dictature, comédie qui est un legs du stalinisme et de sa longue emprise sur une partie de la gauche occidentale.

Aujourd'hui je voudrais évoquer une scène qui m'a beaucoup frappé, et qui éclaire en un certain sens le destin de la démocratie aujourd'hui. Cette scène est racontée dans ses mémoires par la célèbre comédienne Simone Signoret. Nous sommes au début des années 1960, dans un palace londonien. Ce jour-là, Signoret reçoit la visite d’une cousine tchèque nommée Sophie Langer, qui avait déjà essayé de la contacter, dix ans plus tôt, alors qu’elle était en tournée à travers le bloc soviétique. Mais, à l’époque, l’actrice, proche des   communistes français, n’avait pas jugé bon de donner suite. Après toutes ces années, donc, sa cousine est heureuse de pouvoir enfin se confier : elle et son mari, jeunes socialistes tchèques, avaient fui l’invasion allemande en 1939. Exilés aux États-Unis, ils s’étaient dépêchés de rentrer en Tchécoslovaquie après la guerre, pour y construire le socialisme. Mais le mari de Sophie Langer avait ensuite été arrêté par le régime pour cause de « déviationnisme »… 

“À New York, il aurait sûrement eu des ennuis aussi”

   À ce point du récit, il faut restituer la manière dont Signoret évoque cette conversation londonienne. A l’instant même où sa cousine pouvait lui dévoiler la vérité, évoquer la répression, la surveillance quotidiennes, la star eut pour premier réflexe de relativiser. Je cite Simone Signoret : « Sophie allait continuer quand je lui dis – non pour l’interrompre, mais pour montrer mes connaissances, je suppose – : “À New York, il aurait sûrement eu des ennuis aussi.” Elle s’arrêta de parler. Je lui demandai de continuer son histoire. Elle me dit que ce n’était plus la peine. Elle finit de boire son thé, (…) s’excusa de m’avoir dérangée et quitta mon petit appartement douillet, non sans me faire remarquer que les gens comme nous, ça ne savait vraiment rien. Ma cousine de Bratislava ne ressemblait pas à l’emmerdeuse que j’avais imaginée à Prague, mais je ne la trouvai pas extrêmement aimable. Et puis, moi, hein ! j’avais à jouer la comédie. »

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En 1968, alors que les chars soviétiques déferlaient sur la Tchécoslovaquie pour étouffer le « printemps de Prague », Sophie Langer réussira à fuir le pays et elle écrira ces mots à sa cousine Simone : « Tout ce que tu trouvas à me dire quand j’ai voulu te raconter mon histoire, c’est qu’en tant que communistes, nous aurions subi le même traitement si nous étions restés aux USA. J’espère qu’aujourd’hui tu as compris la différence. »

Staliniens qui s'ignorent

Plus tard, ayant pris connaissance de quelques témoignages écrits par des dissidents, Signoret finira par « comprendre la différence ». Mais d’autres, beaucoup d’autres, à l’époque et jusqu’à aujourd’hui, ont continué à la jouer, cette comédie de l’indifférence, comédie fondée sur le refus viscéral de distinguer entre démocratie et dictature, comédie qui est un legs du stalinisme et de sa longue emprise sur une partie de la gauche occidentale. Aujourd’hui encore, quand certains progressistes, ou prétendus tels,  manifestent leur complaisance à l’égard de tel ou tel régime despotique, ils sont les héritiers directs de l’incroyable refoulement qui continue de frapper le moment totalitaire du XXè siècle. Ils se croient rebelles, quand ils sont d’abord, en réalité, des staliniens qui s’ignorent. 

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