

Le tweet de l'homme politique et son photomontage qui s'inscrit dans la tradition antisémite rappelle que la haine est maintenant d'une banalité assassine.
Je voulais revenir sur la triste, la déplorable affaire Filoche, qui fait qu'une figure de la gauche, un homme dont l’engagement a été structuré par les valeurs de la solidarité et de l'antiracisme, se retrouve à tweeter un photomontage qui s'inscrit explicitement dans la longue tradition de l’antisémitisme le plus sanglant. Vous savez, l'autre soir, quand j'ai vu passer ce tweet sur mon téléphone, je ne me suis pas dit : « Ah, voilà, Filoche est antisémite ! ». Pas du tout. Au nom de quoi on pourrait enfermer un homme, comme ça, sur la base d'un tweet, dans une identité haineuse. Je me suis juste dit : ah, quel symptôme, décidément, c'est fou, c'est fou comme la mémoire est vaine.
Car si Filoche, avec la culture politique qui est la sienne, peut reprendre à son compte un photomontage où l'on voit Macron avec un brassard nazi où le dollar a remplacé la croix gammée, encadré par trois personnalités juives, sur fond de drapeaux israélien et américain, alors la mémoire est vaine. Si la première réaction de ce socialiste aguerri, quand on lui fait remarquer que son tweet rappelle de pénibles souvenirs, c'est de répondre que cette image est « totalement banale » en tant qu'elle associe Macron et l'argent, alors la mémoire est vaine. Si cet héritier du mouvement ouvrier s'enfonce dans le déni en expliquant qu'il n'a pas vu tout de suite, je le cite, les « détails » (les « détails » de cette image), alors c'est que la mémoire est vaine. Surtout, cela veut dire que Filoche a raison, oui de telles images sont redevenues « totalement banales », la haine antisémite mais aussi la haine raciste, sexiste ou homophobe, la haine est à nouveau d'une banalité assassine, comme le geste de ces anonymes qui ont tracé le mot « juif », en énorme, tout récemment, sur la devanture de certains commerçants juifs, à Marseille.
« Jusqu'à quand ? Jusqu'à quand ? »
Disant cela, je repense à une scène qui m'a marqué, c'est dans un livre, bien sûr, un livre qui s'appelle Mon Père, inventaire (Seuil), le metteur en scène Jean-Claude Grumberg y raconte que dans les années 1950, à Paris, il avait 13 ans, il a entendu un voisin qui s'appelait Bécherel, troisième gauche escalier C, un gentil voisin, avec qui sa mère s'entendait bien, il l'a entendu s'énerver contre d'autres voisins, Mr et Mme Taube, s’énerver au point de prononcer la phrase de trop, la phrase sur les juifs, l'argent, etc. Et alors, raconte Grumberg, on a entendu la voix de Madame Taube retentir dans la cour de l'immeuble. Je cite Grumberg, qui aura donc le mot de la fin : « Dans le silence qui suivit, la voix de madame Taube submergea la cour. « Jusqu'à quand ? Jusqu'à quand ? », répéta-t-elle, et dans ces simples mots tout était dit. Tout. La douleur, la perte, la traque, les siècles, l'Inquisition, l'Égypte, Rome, la destruction du Temple et, pour finir, notre propre mort programmée, organisée, notre propre mort dont nous venions à peine de réchapper. « Jusqu'à quand ? Jusqu'à quand ? ». Ma peau se hérissait, mes cheveux se dressaient, j'étouffais, répétant comme malgré moi, articulant à voix basse, moi aussi : « Jusqu'à quand ? Jusqu'à quand ? ». Tout était dit. Tout était clair pour moi ».
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