Michel Foucault est l'un de ces auteurs que non seulement on aime lire mais auxquels on aime s'en remettre, une présence rassurante vers laquelle on se tourne spontanément, comme ça, quand on a envie de regarder ailleurs, de se donner un autre tempo intérieur.
Ce matin je voudrais parler de Foucault. Moins de sa pensée que de sa présence, au sens le plus physique du terme. Evidemment, Foucault est d'abord connu comme philosophe, comme un intellectuel qui nous a légué cette fameuse « boîte à idées » où chacune et chacun peut encore piocher, aujourd'hui, ce qui lui convient, un cadre conceptuel, une manière d’écrire, une méthode d'investigation sociologique ou encore un instrument politique d'émancipation. Mais Foucault, c'est bien plus que cela, bien davantage qu'une référence théorique ou une ressource politique, Foucault pour beaucoup d'entre nous c'est le nom d'un recours permanent, c'est l'un de ces auteurs que non seulement on aime lire mais auxquels on aime s'en remettre, une présence rassurante vers laquelle on se tourne spontanément, comme ça, quand on a envie de regarder ailleurs, de se donner un autre tempo intérieur.
Foucault, une pensée à voix haute
L'avantage, avec Foucault, c'est qu'il échappe à tout le monde, personne ne peut mettre la main dessus, cela le rend d'autant plus disponible pour chacun et chacune d'entre nous, cela vaut d’ailleurs aussi pour tous ceux qui ne l'ont pas connu, ce qui est mon cas, j'appartiens à ceux qui peuvent dire « nous n'en étions pas », nous n'avons pas eu la possibilité de l’entendre au Collège de France, nous n'avons pas rencontré la pensée de Foucault en tant qu'elle fut une pensée proférée, une pensée à voix haute, et pourtant quand nous l'écoutons, par exemple dans telle ou telle archive diffusée sur France Culture, et même quand nous le lisons, nous pouvons sentir l'épaisseur de son discours, les cavalcades de sa parole, le généreux tranchant de sa voix au moment où il confie à ses auditeurs « vous savez, je suis comme l'écrevisse, je me déplace latéralement », oui, c'est vrai, Foucault n'est pas toujours facile à suivre, mais nous n'en sommes que plus heureux de nous mettre dans son sillage, de coller physiquement à sa phrase, de relire tel article sur les Lumières, telle interview sur les prisons, tel reportage sur la révolution iranienne, il suffit d'ouvrir les deux magnifiques volumes des Dits et écrits (Quarto), bien que ces textes n'aient rien à voir avec une conférence publique, on perçoit déjà, à même le texte, les éléments d'ambiance, les bruits de chaise, les raclements de gorge, bref on s'y croit, on frissonne comme si on entrait dans un enseignement palpitant, et bientôt on tombe sous le charme de cet homme qui donne du corps à l’intelligence, ce penseur qui éclaire nos existences, ce grand allumeur qui projette sur nous une lumière à la douceur absolument solide, avec autorité mais également avec timidité, cette bouleversante timidité qui fut la sienne, jadis, lorsqu’il rencontra ce jeune homme dont parle si bien Mathieu Lindon dans son livre Ce qu'aimer veut dire (POL), ce jeune homme avait déposé son magnétophone sur le bureau de Foucault pour conserver la parole du Maître, et à la fin du cours Foucault l’avait abordé en lui disant simplement : « Oh, vous avec un joli magnétophone ! »
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