Une présence lancinante de l'Occupation : épisode 3/4 du podcast Patrick Modiano

Inauguration d'une plaque à la mémoire de Dora Bruder par la maire de Paris, en présence de Patrick Modiano, le 1er juin 2015 dans le 18e arr. de Paris
Inauguration d'une plaque à la mémoire de Dora Bruder par la maire de Paris, en présence de Patrick Modiano, le 1er juin 2015 dans le 18e arr. de Paris ©AFP - Martin Bureau
Inauguration d'une plaque à la mémoire de Dora Bruder par la maire de Paris, en présence de Patrick Modiano, le 1er juin 2015 dans le 18e arr. de Paris ©AFP - Martin Bureau
Inauguration d'une plaque à la mémoire de Dora Bruder par la maire de Paris, en présence de Patrick Modiano, le 1er juin 2015 dans le 18e arr. de Paris ©AFP - Martin Bureau
Publicité

L'histoire et la mémoire occupent une place prépondérante dans l'oeuvre de Modiano, c'est ce dont nous nous entretenons avec nos deux invités, autour du roman majeur de Modiano sur l'Occupation : Dora Bruder, publié en 1997.

Avec
  • Dominique Viart essayiste et critique, professeur de littérature à l’Université Paris Nanterre
  • Laurent Douzou Professeur d'histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de Lyon, spécialiste de l'histoire et de la mémoire de la France des années noires, biographe de Lucie Aubrac.
  • Alexis Brocas Journaliste, romancier, critique et rédacteur en chef du magazine, "Lire"

Nous abordons l’écriture de Modiano entre littérature et histoire, avec Dominique Viart et Laurent Douzou. 

La mémoire inquiète 

Publicité

J’ai écrit ces pages en novembre 1996. Les journées sont souvent pluvieuses. Demain nous entrerons dans le mois de décembre et cinquante-cinq ans auront passé depuis la fugue de Dora. (Patrick Modiano, Dora Bruder, 1997)

Du 15 quai de Conti sur la rive gauche de Paris où Modiano a vécu et commencé à écrire, au 41 boulevard Ornano, rive droite, où a vécu Dora Bruder, sur laquelle il a écrit un roman, il n’y a pas qu’un fleuve à franchir mais les limites du temps. Les noms s’effacent avec le temps. Modiano a exhumé celui-ci de l’oubli.  Il est âgé de 52 ans lorsqu'il publie ce dix-neuvième roman qui le mène à remonter à la racine de leur histoire commune : la fugue.

La fugue 

L’auteur a en commun avec le sujet de son roman d’avoir fugué à l’adolescence. Modiano avait 15 ans, le même âge que Dora lors de sa fugue, pendant la guerre :

Qu'est-ce qui nous décide à faire une fugue? Je me souviens de la mienne le 18 janvier 1960, à une époque qui n'avait pas la noirceur de décembre 1941. Sur la route où je m'enfuyais, le long des hangars de l'aérodrome de Villacoublay, le seul point commun avec la fugue de Dora, c'était la saison : l'hiver. Hiver paisible, hiver de routine, sans commune mesure avec celui d'il y avait dix-huit ans. Mais il semble que ce qui vous pousse brusquement à la fugue, ce soit un jour de froid et de grisaille qui vous rend encore plus vive la solitude et vous fait sentir encore plus fort qu'un étau se resserre. (Patrick Modiano, Dora Bruder, 1997)

Modiano s’interroge sur leurs motifs à tous les deux, qui ne peuvent pas être les mêmes, en 1941, l’heure est grave, 1960 est un temps de paix et pourtant, le même mal-être personnel se lit à travers eux, les relie à travers les âges. 

Dora Bruder 

Toute l’œuvre de Modiano est traversée par le souvenir de l’Occupation qu’il n’a pas vécue, comme s’il s’agissait d’une enquête approfondie pour tenter de retrouver des disparu.e.s, pour se retrouver lui-même :

Beaucoup d'amis que je n'ai pas connus ont disparu en 1945, l'année de ma naissance. (Patrick Modiano, Dora Bruder, 1997)

Dora Bruder incarne ces êtres. D’ailleurs, l’auteur a rencontré des survivants de la Shoah, a mené de longues recherches pour reconstituer l’histoire de Dora Bruder, une jeune fille juive morte après avoir été déportée avec ses parents au camp d’Auschwitz :

Il y a huit ans, dans un vieux journal, Paris-Soir, qui datait du 31 décembre 1941, je suis tombé à la page trois sur une rubrique : "D'hier à aujourd'hui". Au bas de celle-ci, j'ai lu :  

PARIS      
On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1m55, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron. Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris." (Patrick Modiano, Dora Bruder, 1997)

À 15 h 30, nous accueillons Alexis Brocas pour la chronique.

MUSIQUE GÉNÉRIQUE: Panama, de The Avener (Capitol) fin : Dwaal, de Holy Stays (Something in Construction).

MUSIQUE CHRONIQUE: Self portrait de Chilly Gonzales (Gentle threat).