Agatha Christie sur le divan : épisode 3/4 du podcast Agatha Christie dans la bibliothèque

La romancière Agatha Christie (1890-1976) corrigeant les épreuves de son dernier livre. Janvier1946.
La romancière Agatha Christie (1890-1976) corrigeant les épreuves de son dernier livre. Janvier1946. ©Getty -  Bettmann
La romancière Agatha Christie (1890-1976) corrigeant les épreuves de son dernier livre. Janvier1946. ©Getty - Bettmann
La romancière Agatha Christie (1890-1976) corrigeant les épreuves de son dernier livre. Janvier1946. ©Getty - Bettmann
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Adultères, mensonges, trahisons et pulsions homicides forment la trame des romans d'Agatha Christie. Un matériau éminemment psychanalytique qui n'a pas manqué d'intéresser Freud en son temps, grand lecteur de romans policiers, et qui justifiait la mise sur le divan de la « duchesse de la mort ».

Avec
  • Sophie De Mijolla-Mellor Psychanalyste, Professeur émérite à l’Université Paris-Diderot, Présidente de l’Association Internationale Interactions de la psychanalyse A2IP

Pour cette troisième émission portant sur Agatha Christie nous recevons Sophie de Mijolla-Mellor, psychanalyste, agrégée de philosophie, professeur émérite de psychopathologie et psychanalyse de l'université Paris-Diderot, auteure de Un divan pour Agatha Christie (L'Esprit du Temps, 2020).

En sa compagnie nous assiérons la romancière anglaise sur le divan, une démarche qui peut sembler curieuse à première vue, tant Agatha Christie s'intéressait peu à la criminologie ou à la psychanalyse. Mais si celle-ci se souciait peu de psychanalyse, le psychanalyste Freud, lui, se souciait de littérature policière et se plongeait avec délice dans les enquêtes d'Hercule Poirot.

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Freud lisait, ça on le sait grâce à son employée de maison qui a écrit ses mémoires, et elle rapporte que le professeur lisait pour s’endormir, si j’ai bien compris, Chesterton, Agatha Christie, Sherlock Holmes, etc. et qu’il y avait une espèce de joute, en fait, puisqu’il affirmait qu’il était toujours capable de deviner qui était l’assassin, ce qui est loin d’être évident. Et elle évoque aussi un détail qui est assez touchant : il marquait la page, quand il n’allait pas jusqu’au bout, ce qui était normalement le cas, avec une de ses allumettes ; c’était vraiment un livre de chevet, c’était ce que les Anglais appellent un « eye closer », quelque chose qui aide à s’endormir. (Sophie de Mijolla-Mellor)

 A bien y regarder, c'est tout un ensemble de thèmes freudiens qu'il est possible de repérer dans son oeuvre, parmi lesquels le rapport aux origines et à l'enfance, le rapport à la mère, la présence obsédante de cauchemars récurents à l'exemple de celui impliquant le « gun-man », l'homme-fusil, ou encore la maladie et la mort de son père.

C’est un cauchemar très particulier, puisque c’est un homme armé, qui tient une arme mais qui n’est pas menaçant en fait. Il y a en revanche un élément capital. Là où auraient dû sortir des mains de ses manches, il n’y avait pas de mains, il y avait seulement un moignon. Cette image, elle va parcourir l’œuvre et je pense que c’est véritablement une évocation d’une scène sexuelle, scène sexuelle telle qu’une enfant peut avoir l’occasion d’en voir entre ses parents. Une scène primitive, qui est traumatisante dans la mesure où pour l’enfant, c’est surtout que ses parents se sont modifiés, qu’ils ne s’intéressent plus qu’à ce qu’ils font entre eux, et que lui ou elle n’existe plus. (Sophie de Mijolla-Mellor)

Outre ce sous-bassement psychologique, l'oeuvre d'Agatha Christie nous intéresse aussi par sa propension à nous transmettre ce sentiment d' « inquiétante étrangeté » dont parlait le père de la psychanalyse.

Je voudrais évoquer une phrase qui me semble bien résumer ce qu’il en est pour elle. Elle dit, je ne sais plus très bien où, c’est dans l’une de ses nombreuses autobiographies : « il n’y a rien de plus inquiétant que de faire partie de quelque chose que l’on ne comprend pas. » Tout se joue à partir de cette angoisse. (Sophie de Mijolla-Mellor)

 Ce sentiment d'inquiétude face aux hommes et aux choses tiendrait peut-être, nous explorerons cette piste avec notre invité, à la croyance en une généralité du mal. Dans les romans d'Agatha Christie, n'importe qui peut être un criminel, constat désolant qui incite Sophie de Mijolla-Mellor à parler d'un « assassin sans qualités », entité en définitive unique qui commettrait les crimes de livre en livre et qui ne changerait qu'en surface. Derrière chaque individu peut se cacher un assassin et le criminel particulier devient l'incarnation transitoire d'un mal humain modifiant constamment son état civil pour mieux déjouer la sagacité de l'enquêteur.

Si la romancière cultive par là de saisissants effets de surprise et les retournements inattendus, sa marque de fabrique en tant qu'écrivaine de romans policiers, elle nous amène également à réfléchir sur les notions de culpabilité et d'innocence. Divertissantes, ses intrigues ont bien une dimension analytique, à la limite parfois d'une certaine indifférence pour les protagonistes.

Je crois que c’est une indifférence à la victime, en ce sens que le problème n’est pas là, le problème c’est qui l’a tuée. Le problème est ailleurs […]. Il n’y a pas non plus d’ailleurs de pitié de la part de Miss Marple ou  Poirot lorsqu’ils découvrent l’assassin et qu’ils savent donc, quand même, que c’est la peine de mort pour lui. Il n’y a pas de pitié, ni pour les victimes, ni pour les assassins. (Sophie de Mijolla-Mellor)

Ses crimes, rarement sanglants, apparaissent ainsi dégagés de tout effet pathétique comme pour mieux susciter le travail de l'esprit et le lecteur, auquel la romancière épargne toute horreur, tout dégoût, se trouve ainsi dans la position dépassionnée du détective, invité à résoudre un casse-tête et identifier un visage derrière les masques qu'on lui présente. Il ressemble aussi, et c'est sans doute la raison de l'appétence freudienne pour les romans policiers, au psychanalyste, à l'affût du moindre indice, s'efforçant de démêler les mobiles du crime et de lire, derrière le langage de façade qu'on lui oppose, la présence du refoulé qui mène au crime, ou sur le divan. 

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MUSIQUE GÉNÉRIQUE (début) : Panama, de The Avener (Capitol)

MUSIQUE GÉNÉRIQUE (fin) : Nuit noire, de Chloé (Lumière noire)