Du droit et de l'imposture chez Agatha Christie : épisode 4/4 du podcast Agatha Christie dans la bibliothèque

11 Décembre 1926. Photographies d'Agatha Christie dans le Daily News montrant comment elle aurait pu se déguiser après sa disparition.
11 Décembre 1926. Photographies d'Agatha Christie dans le Daily News montrant comment elle aurait pu se déguiser après sa disparition. ©Getty - Hulton Archive
11 Décembre 1926. Photographies d'Agatha Christie dans le Daily News montrant comment elle aurait pu se déguiser après sa disparition. ©Getty - Hulton Archive
11 Décembre 1926. Photographies d'Agatha Christie dans le Daily News montrant comment elle aurait pu se déguiser après sa disparition. ©Getty - Hulton Archive
Publicité

Lire Agatha Christie du point de vue du droit : c'est le pari de cette quatrième et dernière émission consacrée à la créatrice d'Hercule Poirot et de Miss Marple, deux justiciers moins scrupuleux à l'égard de la loi qu'on ne serait tenté de le penser à première vue.

Avec
  • Maxime Decout Professeur à l'université d'Aix-Marseille
  • Nathalie Froloff professeure en classes préparatoires au lycée Louis le Grand
  • Nicolas Bareït Maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles à l’université de Pau

En première partie d'émission nous recevons Nicolas Bareït, maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles à l’université de Pau, auteur de Agatha Cristie : Le droit apprivoisé (Classiques Garnier, 2020).

Avec notre premier invité nous parlerons du regard sur la justice qui se fait jour dans l'oeuvre d'Agatha Christie.

Publicité

De plus en plus se développent des études de droit et littérature, c’est-à-dire de recherches croisées entre la matière juridique et la matière littéraire, pour essayer de voir comment ces deux champs qui a priori sont séparés peuvent se connecter. Et pour ma part, comme beaucoup de vos auditeurs, j’ai lu Agatha Christie quand j’étais plus jeune et le droit ne m’avait pas forcément marqué à ce moment-là, mais parce que je n’étais pas encore juriste. Et puis étant devenu juriste, j’ai relu Agatha Christie et je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de règles de droit, de mécanismes juridiques, d’institutions juridiques, qui étaient présents dans les romans d’Agatha Christie et je me suis mis à les relire de manière un peu obsessionnelle. (Nicolas Bareït)

Étonnant paradoxe : si les héros de ses romans enquêtent dans le but de démasquer les coupables et de réparer les crimes, ils ne semblent pas manifester de respect méticuleux pour la loi ou les juges. Justiciers selon leur coeur et leur intuition donc, plutôt que serviteurs des lois humaines, Hercule Poirot et Miss Marple témoignent à plusieurs reprises leur distance à l'égard de l'institution judiciaire : « La justice est une chose très étrange » entend-on dire Hercule Poirot dans Le Crime de l'Orient-Express, une remarque que l'on pourrait trouver également dans la bouche de Miss Marple, qui qualifie les affaires juridiques de « mystérieuses ».

On a finalement cette idée que c’est à côté de l’institution [judiciaire] que la vérité peut apparaître. C’est une idée centrale chez Agatha Christie, et c’est une idée qu’on retrouve, d’ailleurs, dans le roman policier de l’époque. C’est une manière de critiquer l’institution judiciaire. (Nicolas Bareït)

En seconde partie nous recevons Maxime Decout, professeur à l'Université d'Aix-Marseille, auteur notamment de Pouvoirs de l'imposture (Minuit, 2018) et de Qui a peur de l'imitation? (Minuit, 2017).

En sa compagnie nous étudions le thème de l'imposture, l'imposteur n'étant pas forcément celui que l'on soupçonne de prime abord. Si le criminel apparaît comme le candidat idéal au titre d'imposteur, on voit que les menées d'Hercule Poirot ne sont pas exemptes de stratagèmes, parfois retors, pour découvrir le fin mot d'un mystère. Le détective s'y entend à démasquer l'imposture par l'imposture, à emprunter les voies de l'artifice et de la falsification pour faire émerger la vérité.

Avec notre invité nous élargirons le spectre de nos réflexions, en considérant l'imposture non plus seulement dans l'histoire, mais en quelque sorte en dehors d'elle. N'est-ce pas, en fin de compte, Agatha Christie elle-même qui s'entend le mieux à tendre des embûches au lecteur, le faire tomber dans le piège des faux-semblants et le mener, d'erreurs en erreurs, de pistes fausses en revirements, jusqu'à un présumé coupable dont Pierre Bayard, dans des ouvrages comme Qui a tué Roger Ackroyd ? ou La Vérité sur dix petits nègres a montré qu'il pouvait tout aussi bien être innocent ? 

Si vous voulez, la conception même du roman policier, c’est ce triomphe de la vérité. Or les moyens mis en œuvre dans l’écriture, c’est une conception complètement différente du récit parce que le récit ne cesse de vous induire en erreur, de vous leurrer. Un roman policier repose, et se caractérise vraiment par sa mauvaise fois, puisqu’il dissimule les indices, l’idée étant que le lecteur ne doit pas être en mesure de découvrir la vérité avant la fin. Cela crée une sorte de surenchère entre le texte et le lecteur, puisque le lecteur sait que le texte lui ment, il va donc chercher non pas parmi les indices les plus évidents, parmi les coupables les plus évidents, et l’auteur sait lui-même que le lecteur va être conduit à cette attitude, d’où l’invention de dispositifs de plus en plus sophistiqués pour prendre au piège le lecteur afin de le surprendre, et c’est ce qui explique la force d’Agatha Christie : cette grande inventivité qu’elle a eu dans les  différents dispositifs. (Maxime Decout)

Agatha Christie écrit avec vraiment une optique très réaliste, ce qui ne sera pas le cas dans certaines réécritures du roman policier […]. Le lecteur, de toute façon, sait qu’il y a un côté fabriqué, qu’il y a un côté faux, et tout dépend de sa disposition d’esprit mais il est tout à fait aussi possible de suspecter les conclusions qu’apporte Hercule Poirot, c’est d’ailleurs ce qu’ont fait plusieurs critiques littéraires, en particulier Pierre Bayard [...]. On peut réenquêter sur les contre-enquêtes de Pierre Bayard pour trouver d’autres failles et démontrer d’autres solutions. Il y a une sorte de vertige de la démultiplication des solutions. (Maxime Decout)

En milieu d'émission nos auditeurs pourront entendre la traditionnelle carte blanche du jeudi, une chronique animée cette fois par Nathalie Froloff, professeure en classes préparatoires au lycée Louis le Grand.

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

MUSIQUE GÉNÉRIQUE (début) : Panama, de The Avener (Capitol)

MUSIQUE GÉNÉRIQUE (fin) : Nuit noire, de Chloé (Lumière noire)