

« Renoir contient tout le cinéma. » Voilà comment Eric Rohmer résumait et saluait l'oeuvre de Jean Renoir. Complexe, expérimental, alliant avec maestria la beauté des images à la virtuosité du scenario, son cinéma fit de Renoir le grand précurseur de la Nouvelle Vague, « le patron ».
- Charlotte Garson Rédactrice en chef adjointe des Cahiers du cinéma
Pour cette seconde émission nous recevons Charlotte Garson, critique de cinéma et auteure notamment de Jean Renoir (Le Monde/Les Cahiers du cinéma).
En sa compagnie nous explorons les grandes lignes de force du cinéma de Renoir, à commencer par sa grande autoréflexivité. Avant tout, le cinéma de Renoir est peut-être essentiellement une réflexion sur le cinéma lui-même. Avant-gardiste, on l'oublie trop souvent en ne voyant en lui que le classique qu'il est devenu, Jean Renoir réalise d'abord une douzaine de films, de Catherine ou Une vie sans joie à Boudu sauvé des eaux marquée par un constant renouvellement formel, une constante expérimentation.
On pourrait dire qu’il a aussi expérimenté la technique d’abord, avant de réfléchir au récit et de vraiment aimer les acteurs. (Charlotte Garson)
La première interrogation de Renoir face au cinéma concerne son réalisme, possible ou impossible, une suspicion par rapport au cinéma comme moyen d'expression qui se révèlera féconde puisqu'elle nourrit la conception de tout un pan de sa filmographie. Si Renoir est un cinéaste de la métamorphose, ce serait d'abord le cinéaste des « métamorphoses du réalisme » (Charlotte Garson). Métamorphoses qui se traduisent, entre autre, par un goût du trucage et de la prestidigitation visuelle, par exemple dans La Petite marchande d'allumettes.
A mon avis le réalisme de Renoir n’est pas tout à fait issu de Zola [...]. La part de réalisme qu’on a dès le premier film qu’il signe, La Fille de l’eau, elle est presque malgré lui [...]. Il réfléchit sur les différentes formes de réalisme qu’il a pu traverser, il appelle ça d’abord un réalisme extérieur, et puis il chemine vers un réalisme moins évidemment tape à l’oeil, disons, et qu’il appelle un réalisme intérieur. (Charlotte Garson)
Influencé nottament par les films de Erich von Stroheim, Renoir parfait sa maîtrise du cinéma avec des films comme Nana, inspiré du roman éponyme de Zola, ou Tire-au-flanc. L'entrée dans le parlant, piège redoutable pour nombre d'artistes du muet, sera négocié avec brio par Jean Renoir qui saura exploiter encore davantage tout le talent de l'acteur Michel Simon, avec lequel il signera de nombreux longs-métrages comme On purge bébé, d'après un vaudeville de Georges Feydeau, La Chienne et Boudu sauvé des eaux. Il y explore notamment les rapports de classe :
Comment les classes entre elles non seulement luttent, mais aussi s’attirent, se côtoient, se frôlent, dans une sorte d’érotisation de ce frottement, on pourrait dire, qui va trouver son premier point de rencontre en 1931 dans La Chienne, où un petit bourgeois, mal marié, va s’amouracher d’une femme qui se prostitue sans le lui dire, qui va essayer de vivre à ses crochet. Ça c’est La Chienne : 1931, le premier chef-d’œuvre de Renoir. (Charlotte Garson)
Si Jean Renoir a d'abord démontré tout son talent d'adaptateur en récupérant de grands écrivains, comme Zola, Feydeau ou Flaubert, il va se mettre également à tourner des oeuvres plus personnelles, dont il imaginera le scénario. Les préoccupations de Renoir s'y traduisent plus directement : préoccupations politiques de celui qui adhère au parti communiste, préoccupations sociales incarnées dans ses films par ses acteurs fétiches, comme Michel Simon, Jean Gabin ou Louis Jouvet, mais aussi la guerre, les rapports entre les sexes, la métamorphose d'un réalisme extérieur en réalisme intérieur.
D'une richesse extraordinaire par sa variété et sa qualité, la filmographie de Renoir apparaît sans conteste comme l'une des pages les plus merveilleuses de l'histoire du cinéma, cet art qu'il aura su s'approprier et réinventer, cet art dont il aura su réécrire la règle du jeu.
MUSIQUE GÉNÉRIQUE (début) : Panama, de The Avener (Capitol)
MUSIQUE GÉNÉRIQUE (fin) : Nuit noire, de Chloé (Lumière noire)
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