

Sensible et avide de mots ; surréaliste, forgeur de mythes littéraires ; homme de l’engagement politique : les visages pluriels du romancier et poète Michel Leiris se dénudent dans «La compagnie des œuvres», de l’âge tendre à l’âge d’homme.
- Aliette Armel Romancière, essayiste, et critique littéraire
Cette semaine, le romancier Michel Leiris est à l’honneur dans La compagnie des œuvres. Et pour ce premier volet à dominante biographique, Matthieu Garrigou-Lagrange reçoit Aliette Armel, autrice d’une biographie de l’écrivain publiée en 1997 aux éditions Fayard.
On ne peut s’empêcher de songer, lorsqu’on veut faire le portrait de Leiris, à celui qu’il dressa de lui-même dans L’Âge d’homme. Ce portrait, non pas moral, mais physique, s’avéra si minutieux et cruel que son ami Picasso s’exclama à sa lecture : « Votre pire ennemi n’aurait pas fait mieux ! » À rebours de ce sévère esprit de minutie, Aliette Armel s’est intéressé aux ombres dans l’existence de Leiris, inhérentes à tout portrait.
En apparence, l’enfance de Leiris paraît avoir été sans remous. Un père agent de change, une mère au foyer, une vie à Auteuil — encore un village à l’époque. Une maison pleine de chants, car le père organise des soirées musicales. Le petit Leiris grandit dans cette atmosphère culturelle. Sensible, peu à l’aise dans son corps, il s’avère médiocre à l’école, mais avide de mots. En eux, il trouve un refuge. Déjà, il se définit par cette ambivalence qui restera sienne jusqu'à la fin de sa vie.
Enfant, il développe un dégoût pour tout ce qui est sanglant, muqueux, contaminé, après avoir été témoin de l'accouchement de sa cousine Juliette. D'un autre côté, il n'aime rien tant que les images de cruauté, le sang, la violence. (Aliette Armel)
Passent les années. 1921 est celle du basculement — un basculement heureux. Leiris vit à Paris désormais. Là, il se lie avec l’avant-garde littéraire et artistique. Ses fréquentations ne sont pas des moindres : André Masson, Max Jacob, Marcel Jouhandeau… En 1924, il rejoint le mouvement surréaliste, se rend aux réunions de Breton, adhère au parti communiste en 1927, en même temps que ce dernier.
Au bureau des recherches surréalistes, Leiris est chargé de la réflexion sur la désintégration du langage. (Aliette Armel)
Il rompra toutefois deux ans plus tard avec le surréalisme, s’étant entre temps converti au « réalisme ». Leiris entend alors restituer les faits les plus menus de la vie quotidienne et forge l’idée de mythe vécu ; ce qu’il appellera plus tard le « sacré dans le quotidien ».
Leiris, c’est aussi l’engagement politique. Les années 1930 sont celles de la résistance au fascisme. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il est mobilisé en Algérie, et ne retrouve son foyer à Paris qu’en 1940. C’est après la guerre qu’il acquiert la posture d’écrivain et intellectuel engagé.
C'est quelqu'un qui a toujours été militant, sollicité par des revues, des mouvements. Ce n'était pas un militaire, mais il avait une certaine forme de courage. Il a hébergé son amie juive Deborah Lifchitz au début de la guerre. Il a acheté un appartement rue des Grands-Augustins, où des amis à lui se sont cachés, Laurent Casanova notamment, qui était juif. Dans l'après-guerre, il s'engage contre la colonisation. (Aliette Armel)
En 1960, il est l’un des premiers signataires de la « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », dit « Manifeste des 121 ». À sa mort et selon sa volonté, sa fortune — qui lui vient de sa femme — est léguée dans sa quasi-totalité à Amnesty International, à la Fédération des droits de l’homme et au Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples.
Michel Leiris s’éteint à l’âge de 89 ans, le 30 septembre 1990. L’incinération a lieu au crématorium du Père-Lachaise. Basculé de l’autre côté de l’âge d’homme, il disparaît dans un grand brasier cependant que joue le Simon Boccanegra.
MUSIQUE GÉNÉRIQUE (début) : Panama, de The Avener (Capitol)
MUSIQUE GÉNÉRIQUE (fin) : Nuit noire, de Chloé (Lumière noire)
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