Philip K. Dick ou le pouls de l'Amérique : épisode 2/4 du podcast Regards sur Philip K. Dick

Image extraite du film Minority Report (2002) de Steven Spielberg. D'après une nouvelle de Philip K. Dick. John Anderton (interprété par Tom Cruise) subit le scanner rétinien d'un robot de la police.
Image extraite du film Minority Report (2002) de Steven Spielberg. D'après une nouvelle de Philip K. Dick. John Anderton (interprété par Tom Cruise) subit le scanner rétinien d'un robot de la police. ©Getty -  CBS Photo Archive
Image extraite du film Minority Report (2002) de Steven Spielberg. D'après une nouvelle de Philip K. Dick. John Anderton (interprété par Tom Cruise) subit le scanner rétinien d'un robot de la police. ©Getty - CBS Photo Archive
Image extraite du film Minority Report (2002) de Steven Spielberg. D'après une nouvelle de Philip K. Dick. John Anderton (interprété par Tom Cruise) subit le scanner rétinien d'un robot de la police. ©Getty - CBS Photo Archive
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La science-fiction selon Philip K. Dick n'a rien d'une littérature d'évasion. Sombre et désenchantée, sa science-fiction quasi métaphysique appartenait au contraire à une littérature d'enfermement, une littérature de la fin du monde et des dystopies totalitaires, celle d'un futur sans avenir.

Avec
  • Laurent Queyssi Auteur, traducteur, scénariste et spécialiste des comics et de SF

En notre compagnie aujourd'hui pour nous présenter l'oeuvre de Philip K. Dick : Laurent Queyssi, auteur, scénariste et traducteur, responsable de l’édition des deux volumes des Nouvelles complètes (Quarto Gallimard).

C’est ça sans doute la force de son œuvre, son acuité à voir ce que les autres ne perçoivent pas, ou à le prendre d’un point de vue auquel on n’aurait pas pensé. (Laurent Queyssi)

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Avec la parution des Nouvelles complètes dans la collection « Quarto » de Gallimard, peut-on affirmer que Philip K. Dick est définitivement entré dans le champ très sélectif de la littérature dite « grande », prestigieuse et supposément sérieuse ? 

On sort du cadre des collections spécialisées de science-fiction, même si c’était le cas pour lui auparavant. Là, il entre chez Gallimard, c’est quand même un petit peu symbolique de la grande littérature, on va dire, ce dont il s’est toujours senti éloigné puisqu’il n’a jamais réussi à publier tous les romans de littérature générale qui étaient la grande ambition de sa vie. (Laurent Queyssi)

Si les Belles Lettres, chasse gardée de quelques genres classiques, intègrent finalement avec K. Dick ce genre longtemps tenu pour mineur qu'était la science-fiction, n'y a-t-il pas une sorte de malentendu ? Singulière, dérangeante, provocante même, l'oeuvre de K. Dick est-elle récupérable : par l'institution, par la tradition, voire par une société de consommation du livre ?

Pour le savoir, Laurent Queyssi nous guide dans l'oeuvre de l'écrivain en soulignant ses principales spécificités.

Il y a certains textes de SF qui, comme ça, nous culbutent dans tous les sens pendant une dizaine de pages avant qu’on puisse reprendre pied. Chez Dick il y a toujours un côté plus terre-à-terre on va dire, et les choses commencent à culbuter un peu plus tard. Il n’est pas le seul à être comme ça dans les auteurs de science-fiction. (Laurent Queyssi)

Aisément lisible, l'oeuvre écrite de K. Dick témoigne tout de même d'une profonde curiosité intellectuelle, d'une vaste culture littéaire. Voici un écrivain qui lit absolument tout ce qui se présente à lui, y compris la philosophie la plus ardue et qui fait ses délices de la Critique de la raison pure d'Emmanuel Kant.

Qu'on ne s'y trompe pas, l'auteur d'Ubik n'est pas un pur rationaliste : consommateur excessif de médicaments et de substances chimiques, cet écrivain hypocondriaque et névrosé était avant tout porté vers la mystique – dont il connut les illuminations – et vers le rêve – qu'il n'a cessé d'explorer dans ses troublants rapports avec la réalité.

A travers lui transparaissent aussi les signes des temps. K. Dick est obsédé par l'idée de guerre. 

C’est doublement un enfant de la guerre parce qu’en effet son père s’est battu dans les Ardennes, et a parlé de la guerre – alors on ne sait pas à quel niveau de détail mais il a parlé à son fils de son expérience ; il lui a montré son masque à gaz qui, j’imagine, pour un enfant est quelque chose d’assez impressionnant et qui rappelle un peu un masque robotique. (Laurent Queyssi)

Engagé à gauche, il connaît la paranoïa des années McCarthy quand des agents du FBI viennent lui demander chez lui des noms d'adhérents au parti socialiste.

Quels sont les thématiques qui l'obsèdent, quel est le rapport de son écriture au réel, quelle est sa place dans l'histoire de la science-fiction ? Autant de questions auxquelles répond notre invité. Formidable nouvelliste – il excèle dans le genre court – K. Dick se révèle aussi un grand romancier, stature à laquelle il accède notamment grâce au prix Hugo qui lui est décerné en 1963 pour Les Maîtres du Haut Château.

Il a lu Maupassant, très jeune. C’est quelque chose qui a dû le marquer et je pense que c’est une bonne école pour la nouvelle. Il a lu des centaines, peut-être des milliers de nouvelles puisqu’il lisait les pulps religieusement, et malgré tout il y avait quand même à la fois de bons faiseurs qui maîtrisaient les techniques et puis aussi de grands auteurs qui étaient publiés dans ces pulps malgré tout. Il a été à cette école-là [...]. Dans les romans il ya peut-être cette espèce de mélange qui fait que tout s'intercale, mais que moi je trouve formidable. (Laurent Queyssi)

Pourtant, celui qu'on hésite à ranger dans la catégorie de romancier psychédélique ou dans celle de matérialiste technocritique – il est sans doute un peu des deux – ne sera vraiment diffusé hors des cercles d'initiés qu'au cours des années 1970. La France joue à cet égard un grand rôle, tant dans la diffusion que dans la valorisation de son oeuvre.

Lui qui se présentait comme le seul auteur de science-fiction marxiste et qui à ses débuts aurait été banni du monde du cinéma accèdera également, mais après sa mort, à la consécration sur grand écran : Total Recall, Minority Report, Blade Runner, des chefs-doeuvre du genre qui continuent d'inspirer séries et films. 

MUSIQUE GÉNÉRIQUE (début) : Panama, de The Avener (Capitol)

MUSIQUE GÉNÉRIQUE (fin) : Nuit noire, de Chloé (Lumière noire)