Un autre Renoir : épisode • 3/4 du podcast Renoir le patron

L'actrice américaine Paulette Godard avec le cinéaste Jean Renoir sur le tournage de Journal d'une femme de chambre, d'après Octave Mirbeau.
L'actrice américaine Paulette Godard avec le cinéaste Jean Renoir sur le tournage de Journal d'une femme de chambre, d'après Octave Mirbeau. ©Getty - United Artists/Sunset Boulevard/Corbis
L'actrice américaine Paulette Godard avec le cinéaste Jean Renoir sur le tournage de Journal d'une femme de chambre, d'après Octave Mirbeau. ©Getty - United Artists/Sunset Boulevard/Corbis
L'actrice américaine Paulette Godard avec le cinéaste Jean Renoir sur le tournage de Journal d'une femme de chambre, d'après Octave Mirbeau. ©Getty - United Artists/Sunset Boulevard/Corbis
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Un autre regard : c'est la proposition, éminemment cinématographique, de cette troisième émission consacrée au réalisateur Jean Renoir. L'occasion de regarder mieux et différemment celui qui, de films en films, éduquait le regard du spectateur à l'image, à la beauté, à l'altérité.

Avec
  • Philippe De Vita Docteur en langue et littérature françaises et membre associé du laboratoire POLEN de l'université d'Orléans

Nous sommes aujourd'hui en compagnie de Philippe De Vita, docteur en langue et littérature françaises et membre associé du laboratoire POLEN de l'université d'Orléans, auteur du Dictionnaire Jean Renoir (Honoré Champion, 2020).

Renoir le disait lui-même : « un film est un tout. » Dès lors, quelle pertinence y a-t-il a refaire le portrait du cinéaste, si celui-ci doit finalement s'effacer derrière l'oeuvre comme totalité autosuffisante ? Et si Renoir formait, lui aussi, un tout ? Un être complexe et riche au travers duquel il nous serait donné de mieux comprendre une esthétique et même, au-delà, un art ?

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Car Jean Renoir est d'abord un formidable, sinon théoricien, du moins penseur du cinéma, un artiste qui, non content de produire, réflechissait sur les formes et les conditions même de la production, comme en témoigne superbement l'entretien fleuve qu'il accorda à Jacques Rivette et François Truffaut pour les Cahiers du cinéma, en 1957.

Je pense que le mot théoricien est un peu excessif mais il a réfléchi à son métier par l’écriture, par les mots, à la fois dans ses mémoires, dans ses articles. Il a beaucoup apprécié s’étudier lui-même, si vous voulez, et étudier son propre travail. De là à dire théoricien : non. (Philippe De Vita)

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S'il n'est pas véritablement théoricien, cet autre Renoir que nous vous proposons aujourd'hui était en revanche pleinement polygraphe, habité du désir de jouer avec les mots et d'écrire. Quatre romans, deux pièces de théâtre, une biographie de son père puis une autobiographie attestent la multiplicité des talents du cinéaste. Si la notion n'était problématique, Renoir mériterait donc plus qu'aucun autre le qualificatif d'« auteur », non seulement pour ses écrits, mais aussi en raison de son style cinématographique inimitable.

Il est assez ambigu dans ses mémoires là-dessus, parce que ses mémoires sont dédiés aux critiques, aux cinéastes de la Nouvelle Vague, c’est très clairement annoncé au début. Il va se définir comme auteur, comme quelqu’un qui pense que le cinéma est une création malgré tout individuelle, et en même temps il dit que ses acteurs, ses collaborateurs sont libres, lui apportent ses idées. Donc il a une position ambiguë. En fait s’il s’entend si bien avec les défenseurs du cinéma d’auteur des Cahiers du cinéma c’est parce qu’il est très attaché à son pouvoir sur un tournage. Je crois qu’il savait mettre à l’aise ses collaborateurs pour leur faire croire qu’ils étaient libres d’inventer au même niveau que lui. (Philippe De Vita)

Si la jeune et brillante critique des Cahiers du cinéma n'a pas hésité à sauter le pas le concernant, lui aurait donc certainement été plus réservé vis-à-vis de ce titre d'« auteur. » 

On l’a transformé, un peu, en philosophe de la vie, en visionnaire, et lui se définissait plus modestement comme un artisan. Il résistait à l’idée de penser son cinéma comme celui d’un philosophe ou d’un prophète. Il y a une part de fausse modestie aussi, il a vu l’intérêt qu’il y avait à être adoubé par la jeune génération, mais je pense aussi qu’il ne faut pas oublier qu’il y avait un écart entre eux, des différences. Et c’est un peu ce que dit Renoir dans sa dernière lettre à Truffaut. (Philippe De Vita) 

En effet, pour Renoir c'est la littérature qui était l'art véritablement fondateur et essentiel, par rapport auquel le cinéma représentait une forme amoindrie d'expression artistique.

De là découlerait d'abord sa tentation comme écrivain, mais aussi sa tentation de transmuer le cinéma en écriture, en stylisation du visible, en authentique langage. Faut-il voir ici sa modernité essentielle ? Il n'est pas certain que Renoir eût opiné, lui qui s'est toujours montré très critique, voire réactionnaire en face de toute idée de progrès. Serait-il pour autant « Antimoderne », suivant la définition qu'en donne Antoine Compagnon ?

Ce qui fait échapper Renoir à l’antimodernisme tel que le définit Antoine Compagnon, c’est qu’il n’est pas du tout dans la vitupération, dans la colère face au constat que la modernité ne lui plaît pas. Il critique le progrès, mais il consent à cette décadence. (Philippe De Vita)

Reste que Jean Renoir fut érigé en grand précurseur notamment par la Nouvelle Vague, au prix sans doute d'une diminution de sa complexité d'homme et d'artiste. Traditionnel à bien des égards, par exemple dans sa conception du montage ou dans la primauté donnée à la narration, Renoir étonne par l'audace de certains de ses thèmes ou par une palette graphique très expressive. C'est pourquoi il apparaît plus juste de le situer dans un entre-deux entre modernité et classicisme, de ne réduire son oeuvre ni à ce qui l'attache au passé, ni à ce qui l'apparente au présent mais de l'envisager dans son étrangeté, dans sa singularité.

Parce qu'on a trop voulu s'approprier Renoir, il importait de lui accorder, dans cette troisième émission, le bénéfice d'un autre regard.

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MUSIQUE GÉNÉRIQUE (début) : Panama, de The Avener (Capitol)

MUSIQUE GÉNÉRIQUE (fin) : Nuit noire, de Chloé (Lumière noire)

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