Confession d'un ex-climatosceptique

Yanet Garcia
Yanet Garcia ©Getty - Victor Chavez
Yanet Garcia ©Getty - Victor Chavez
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Je suis un ancien climatosceptique et il m’en reste des séquelles.

Qui se souvient de l’Onuzi, avec un z comme dans nazi ? C’était le nom du futur gouvernement de la terre dans les pamphlets d’anticipation de Dantec. Les droits de l’homme transformés en empire — l’empire du bien, totalitaire, humanitaire, impitoyable : lire Dantec c’était tout le nietzschéisme dans nous étions capables en l’an 2000. 

Et il m’en est resté, j’avoue, des réflexes déplacés : assis à cette table vendredi dernier à côté d’une climatologue, membre éminente du GIEC, je me suis retrouvé à la respecter pour les plus mauvaises raisons qui soient, non plus par déférence scientifique mais en me disant que j’étais assis à côté d’une des futures membres du gouvernement mondial, cette entité pour auteurs de SF paranoïaques dont le GIEC était la préfiguration la plus probable. 

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J’avais, pour dire la vérité, le cerveau encore bouillonnant du tweet d’Élisabeth Lévy qui expliquait bizarrement que si la menace était aussi réelle qu’on se plaisait à le croire, il devrait déjà y avoir des milices climatiques qui patrouillent dans les rues. 

Si le dérèglement climatique était bien quelque part, ce matin-là, c’était dans mon cerveau, anormalement agité par ce paralogisme. 

Je suis un ancien climatosceptique et il m’en reste des séquelles. 

D’où me viennent ces réflexes confus ? Il y a encore 4 ou 5 ans il pouvait m’arriver de dénoncer moi aussi les dangers d’une possible dictature verte. 

Plus j’y pense, plus je me dis que c'était plus grave que je ne le croyais. J’étais climatosceptique parce que ma mère a toujours adoré regarder la météo. Le climatoscepticisme, pour le dire étrangement, était la seule forme avouable d’un sexisme inconscient — il en allait de mon privilège de mâle d’aimer les énormes pick-ups, de chasser le mammouth et de laisser ma compagne télécharger l’appli Meteo France en me réjouissant secrètement, si elle me disait qu’il faisait 18 en février, que le réchauffement climatique avait au moins l’avantage de mettre le permafrost à portée de Deliveroo. 

J’exagère à peine : je jure qu’on peut retrouver la trace de cette époque préhistorique dans l’une des premières interviews que j’ai donné. C’était au magazine Challenges et j’avais expliqué que mon rêve dans la vie était d’habiter La Défense et de rouler en 4x4. C’était l’époque, je venais de publier un premier roman dont le personnage était inspiré par Xavier Niel, où je passais, peut-être à raison, pour un écrivain pro-business. Et on ne peut pas me reprocher de ne pas avoir joué le jeu. J’ai été plusieurs fois sur BFM business, j’ai participé à un voyage de presse organisé par Total, si on me l’avait proposé j’aurais volontiers accepté une résidence d’écriture sur une plate-forme pétrolière : c’est plus fort que moi, c’est mon côté singe savant, classe moyenne, je suis tellement content d’être invité quelque part. 

On m’a dressé ainsi — ou plutôt je me suis laissé faire, par intérêt, j’avais un lectorat fidèle d’ingénieurs à satisfaire. Et je me suis retrouvé, presque pétrifié par l’importance de ma position, transformé en gargouille au sommet de la tour d’une raffinerie à mépriser, moi qui prétendais tout comprendre au craquage des hydrocarbures, ces scientifiques qui ne s’intéressaient qu’aux choses atmosphériques. À moi les secrets alchimiques du monde, à eux les formes vagues des nuages. Et si j’acceptais, parfois, d’examiner leurs arguments, c’était négligemment, par agacement et du dos de la main — comme la pétrochimie avait fini par tenir compte du vent en apposant des ailettes en spirales à ses cheminées pour en améliorer les capacités extractives. 

J’ai dit que la météo était la science de ma mère — qui exigeait le silence absolu entre les pubs Darty. Étrange scénographie, d’ailleurs, qui neutralisait la menace climatique en plaçant autour d’elle les techniciens compétents d’un SAV motorisé — nul risque de catastrophe climatique au pays du contrat de confiance. 

Mais des miss météo canal à l’inénarrable Yanet Garcia, la miss météo mexicaine qui a m’a plusieurs fois conduit à m’intéresser au risque cyclonique dans la péninsule du Yucatan, la météo témoigne le plus souvent d’un sexisme encore plus décomplexé. 

Au hommes le climat, les satellites et les glaciers, le temps long et les probabilités d’apocalypse. Aux femmes les fonds verts, les robes moulantes et les éphémérides, les humeurs changeantes et la pluie versatile — en attendant le gag inévitable, la chute à cause des talons ou la main qui caresse une dépression en forme de pénis. 

Accidents dont le seul équivalent  masculin aura été pour ma génération le mâle malaise d’Alain Gillot-Pétré, qui mourut presque en direct en présentant la météo.