

Même les Marios, à leur façon, sont des simulateurs de marche.
J’aime bien la théorie qui ramène les FPS, les first personnal shooter ( ndlr Tire à la première personne ), le grand genre du jeu vidéo, à d’archaïques point and click ( ndlr : viser et cliquer ) : des choses apparaissent à l’écran et on doit cliquer dessus pour les faire disparaître — dans les réglages des anciens FPS, on pouvait d’ailleurs, pour éviter de trop faire chauffer les cartes graphiques, faire disparaître, à peine touchés, les cadavres de nos ennemis.
Tout cela est loin maintenant et je sais que quelque part le corps d’un Mexicain qui m’avait proposé un défi d'habileté au tir se décompose, près du village de Valentine, dans Red Dead Redemption 2 : je l’avais cliqué un peu fort, mais cela a été, je crois, mon seul meurtre gratuit, j’étais un cowboy relativement moral, voire un peu nonchalant.
Des critiques ont d’ailleurs, un peu ironiquement, rattaché le jeu au genre du simulateur de marche, en raison de sa lenteur contemplative.
Mais c’est peut être comme cela, à pied, même, plutôt qu’à cheval, que la carte de Red Dead Redemption 2 donne le meilleur d’elle-même, retrouve ses bonnes proportions : une Amérique en miniature commencée dans les neiges du Montana et descendu en diagonale jusqu’aux bayous du sud. Je me suis arrêté à ce moment, à cet endroit mélancolique où l’ouest se termine, en 1899. La séquence de l’arrivée dans la ville fictive de Saint-Denis est bouleversante. Le bruit des usines était assourdissant, les cheminées des raffineries fumaient de partout et le personnage qui m’accompagnait, un vieil hors-la-loi idéaliste, avait eu ce commentaire désabusé : “c’est répugnant.”
J’en aurais presque pleuré — jamais je n’avais vu ce monde, le monde industriel, notre monde, rejeté avec une haine aussi froide.
Un simulateur de marche : c’est un concept qui s’applique à toutes sortes de jeux. Même les Marios, à leur façon, sont des simulateurs de marche. Mais la référence du genre, c’est Firewatch, un jeu de qui nous fait incarner un quinquagénaire un peu dépressif, doté d’un Talkie-Walkie et venu surveiller un parc naturel. Le jeu ressemble strictement à une balade en forêt, et il est aussi merveilleusement simple à jouer qu’inoubliable.
Cela m’amène à un autre jeu, à sa façon encore un simulateur de marche : What Remains of Edith Finch. C’est l’une des expériences de jeu les plus troublantes que j’ai faite. Il s’agit d’une déambulation dans une maison, une maison doucement hantée dont tous les occupants sont morts, au fil des générations. Mieux qu’un simulateur de marche, c’est un simulateur de mort : le joueur va revivre les derniers instants d’une douzaine de personnages. On avance dans le jeu, autrement dit, en se tuant soi-même sous ses incarnations successives. Il est difficile de ne pas spoiler l’histoire. L’hallucinant climax a été pour moi ce simulateur de noyade d’enfant — on est à un moment un bébé d’à peine un an dans son bain, qui joue avec un canard en plastique sur la musique de Casse-Noisette, la scène est très poétique, c’est comme un ballet de figurines en plastique, on veut en attraper encore une avec le pied et on actionne accidentellement le robinet fatal — c’est d’une audace hallucinante.
Toutes les scènes sont, à leur manière, perturbantes — on comprend très vite qu’on ne sortira jamais de cette maison et que c’est elle qui nous hantera longtemps.
C’est justement un détail architectural anodin qui m’a peut-être le plus marqué, encore plus que les extravagantes extensions du toit.
Toutes les pièces de la maison communiquent entre elles, c’est comme un rêve d’enfant, par des souterrains creusés dans ses soupentes — et l’isolant thermique, contre lequel on évolue alors, c’est un détail que j’ai trouvé prodigieux, est sérigraphié, comme dans la vrai vie, du nom de la marque qui le produit. Peu importe la qualité des graphismes du jeu : ce détail seul était photoréaliste — j’en ai d’ailleur fait, fasciné, une capture d’écran.
Comme de cet instant où on passe d’un vieux jeu spatial Playskool à une vision directe de la pleine lune à travers un vasistas.
Mais l’image la plus émouvante m’attendait dans une autre pièce secrète, où un autre enfant disparu avait installé, dans un vieux landau, deux ours en peluches face à face. Ils buvaient là le thé, dans une vieille dinette, depuis plusieurs décennies, et cette nature morte naïve m’a presque fait pleurer.
Même l’effondrement dans l’oubli des îles de l’enfance dans Vice-Versa et ne m’avait pas fait ça : le sentiment que rien n’avait plus d’importance que cette cérémonie du thé — moi dont le rituel principal se limite habituellement à actionner au réveil un bouton à bascule lumineux sur une cafetière filtre.
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