L'incendie de Notre-Dame

Notre de Paris en proie aux flammes
Notre de Paris en proie aux flammes ©AFP - Fabien Barrau
Notre de Paris en proie aux flammes ©AFP - Fabien Barrau
Notre de Paris en proie aux flammes ©AFP - Fabien Barrau
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Nous nous sommes réveillés ce matin au milieu du chantier inattendu, providentiel, d’une nouvelle cathédrale.

Je suis monté un jour, à Nantes, sur les toits de l’église Saint-Similien — l'ascension, horrible et croustillante, exigeait de marcher sur des centaines de carcasses de pigeons qui s’étaient retrouvés prisonniers de l’escalier en colimaçon. La vue en valait cependant la peine : la cathédrale avait bien survécu à l’incendie de 72.

Mais, ce qui m’avait le plus marqué avait été de découvrir ce truc d’architecture que j’ignorais alors, c'est la dissociation entre les voûtes et la toiture, qui ménageait un espace intermédiaire fascinant. J’étais là-haut, sur les poutres, aussi heureux que j’avais été, un jour, sur la longue passerelle qui reliait, au-dessus du vide, les silos à blé, dans le hangar derrière la maison de ma grand-mère, tout en haut du monde mais encore invisible. J’étais le jeune Julien Sorel qui lisait son Mémorial sur la poutre la plus haute de la scierie familiale, j’étais simultanément en haut et en bas du monde, au milieu, peut-être, ni croyant ni athée, mais agnostique, funambule, trapéziste. Je retrouverai ce genre de sensations plus religieuses que la pesanteur dans les escaliers ambigus qui permettent d’escalader Saint-Pierre-de Rome, et qui zigzague étrangement entre les deux coupoles imbriquées, celle du dedans et celle du dehors. On avançait parfois à l’oblique, comme dans les rares grottes aménagées que j’avais visité, c’était un lieu à la Claude Parent, à la "Escher" — ou bien une allégorie peut-être du péché originel.

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Mais ce qui m’avait le plus marqué, à Saint-Similien, c’était la forme que prenait les voûtes en dessous de moi, des dômes grossiers, des tumulus alignés, quelque chose de primitif et de presque païen.

C’est cet entresol ambigu de Notre-Dame qui a brûlé hier. 

Tout le monde sait depuis hier soir qu’on l’appelait la forêt et qu’on y trouvait quantité de signes gravés sur le bois — ça me rappelle ces légendes sur des chapelles sataniques secrètes cachés dans les piliers des cathédrales. 

J’avais le matin même loué une place de parking souterrain à l’année, j’étais moi-même largement compromis, peut-être.

Cette sorte de prisme posé comme cela entre les voûtes n’est pas tout à fait satisfaisant : c’est un raté, incontestablement, de l’architecture gothique. Son extrémité, triangulaire, entre les deux tours, m’a d’ailleurs toujours paru ridiculement pavillonnaire. 

J’étais à Jumièges, il y a trois jours : les voûtes effondrées grandes ouvertes sur le ciel bleu, à défaut d’être architecturalement satisfaisante, présentaient une simplicité meilleure.

Au pire — mon expérience des charpentes d’églises me rendait optimiste —, tout ce plomb fondu, ce serait excellent, pour l’étanchéité future de Notre-Dame : on pourrait peut-être à terme se passer de cet espace intermédiaire au statut symbolique un peu problématique.

Ce n’était pas Notre Dame qui brûlait, d’ailleurs, à peu de chose près c’était Viollet-le-Duc. C’était Victor Hugo. C’était Plamondon et Richard Cocciante, Garou et Hélène Ségara.

Les rosaces, la façade et les arcs-boutants du chevet avaient l’air de tenir, et je n’avais aucune inquiétude pour la couronne d’épine : s’il y a bien une chose conçue pour résister aux catastrophes, c’est par définition ce genre d’objets. 

Mais j’avoue au début j’ai eu la voix brisée et la touche 15 facile sur ma télécommande. Il a fallu tout l’optimisme de ma fille, enchantée par avance des discussions du lendemain à l’école, pour que je me reprenne. Et que je me retrouve en chaussette à faire sur mon toit un panoramique un peu tremblant de la fumée sur Paris — la fumée, à cette distance, d’une allumette, celle de la flèche qui vivait ces dernières minutes.

J’étais, nous l’étions tous, je crois, dans un état anormal : bien plus enthousiastes que désespérés. Non seulement Notre-Dame allait tenir, mais on la reconstruirait et ce serait, au cœur de Paris — je cite encore ma fille dont l’optimisme m’a si totalement ravi que j’envisage de l’inscrire à une formation de tailleur de pierres — un nouveau chantier bienvenu après le mélancolique achèvement de celui des Halles. 

Et puis l'événement, il faut le reconnaître, avait tout du miracle médiatique, de l'événement mondialisé et visuellement irrésistible. 

C’est bizarre à dire, mais cela ressemblait même, quand les cloches des églises parisiennes ont commencé à sonner le tocsin, à l’annonce d’une bonne nouvelle 

J’ai grandi à côté d’Évry dans les années 90, je sais ce que c’est que le chantier d’une cathédrale. On disait alors que c’était la dernière qu’on construirait et le pape était venu la visiter en marmonnant des phrases crépusculaires sur la France et le baptême.

Nous nous sommes pourtant réveillés ce matin au milieu du chantier inattendu, providentiel, d’une nouvelle cathédrale.

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