La révolution des gilets jaunes

Gilets jaunes
Gilets jaunes ©AFP - PHILIPPE HUGUEN / AFP
Gilets jaunes ©AFP - PHILIPPE HUGUEN / AFP
Gilets jaunes ©AFP - PHILIPPE HUGUEN / AFP
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Un accessoire de sécurité imposé par l’état et retourné contre lui sur les tableaux de bord des véhicules rebelles.

C’était un jeu bizarre auquel j’ai joué enfant sans vraiment en comprendre l’intérêt — peut-être les restes détournés d’une grande campagne prophylaxique contre le rachitisme ou la jaunisse. On demandait à quelqu’un  : est ce que tu aimes le beurre ? Et on vérifiait aussitôt, comme avec un détecteur de mensonge, la véracité de la réponse en approchant un bouton d’or de la gorge du suspect, sur laquelle un reflet jaune devait apparaître. 

Je suis aller faire du vélo l’autre jour et je me suis souvenu de ces taches lumineuse en voyant les reflets des gilets fluorescents sur les pare-brises des automobilistes qui les avaient sortis de sous leurs fauteuils pour les exhiber là, sur leur tableau de bord, pour manifester leur colère contre le prix des carburants. 

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Vu de Paris, la chose n’est pas moins incompréhensible, pas moins puérile que ne l’était le jeu du bouton d’or. 

Vu de Paris la Seine et Marne et la Picardie sont plus exotiques que la Thaïlande et les Bahamas. 

Je me souviens, un jour de carnaval, avoir suivi à vélo un petit cortège à Couilly-Pont aux dames : c’était comme si j’avais assisté à une cérémonie vaudou en Haïti. Je me souviens de ces dimanches aux villages désolés soudains sauvés par l’apparition d’un vide-grenier dans la rue principale : j’aurais pu acheter, dans la fièvre du moment, tous ces playmobils cassés comme j’avais acheté un jour un oud injouable et faux dans une médina marocaine. 

Rien ne m’intrigue, rien ne m’intéresse plus, en fait, que la Seine et Marne : le seul département d’Ile de France qui ait une taille de département normal, un véritable arrière-pays, des villes moyennes et toutes les problématiques d’aménagement du territoire afférentes. C’est la lentille à travers laquelle les parisiens peuvent apercevoir le grand Autre de la France des départements — ce pays qu’ils ne connaissent plus et qu’ils n’osent même plus nommer, de peur d’être comme ces touristes indélicats qui parlent encore de Bombay, de Ceylan, de la Haute-Volta ou de Châlons sur Marne : si cela ne se fait plus de parler de la province, faut-il dire en région ou dans les territoires ? Faut-il parler de la France des ronds-points,  de la France du bas, de la France périphérique ? De celle des sous-préfectures, de celle des villes sans Fnac, sans Ikea, sans hôpitaux ? 

Il revenait peut-être tout simplement aux 55 millions d’habitants de cette Seine et Marne, mythique, inconnue et élargie au territoire entier, de se définir. C’est comme cela, dans un essai d’onomastique autochtone, qu’est apparue ce terme assez génial : la France du Diesel. Tout était dit : le ronronnement des traditions, le souci de l’économie, l’abandon de l’état qui, après avoir longtemps sponsorisé ce type de motorisation, venait de le lâcher, la trahison, enfin, des élites urbaines, si raffinées, si loin du monde, si aveugles à sa matérialité glaiseuse qu’elles n’en discernent plus que les particules fines et les allergènes invisibles. 

La France du diesel : le terme s’est propagé comme une traînée de poudre. Ou plutôt comme la coulure grasse du diesel sous la trappe à carburant d’un véhicule utilitaire.

La France du diesel, c’était cette forme lasse et résiduelle autour de la trappe des métropoles — une ombre de pays autour du triomphe évaporé des villes-mondes. 

ll s’était mis à faire subitement froid, après Roissy, et je m’étais réfugié dans une boulangerie de Dammartin en Goêle.

J’avais ainsi bu un café en feuilletant La Marne, l’hebdomadaire local, sur un petit comptoir.

Il consacrait trois pages aux Gilets Jaunes, émanation politique plus ou moins spontanée de la France du diesel. 

L’hebdomadaire parlait d’un ras-le bol national et annonçait le possible blocage de la Francilienne — la dernière enceinte de Paris —  le 17 novembre prochain.

On en viendrait presque, à lire La Marne, à passer d’une station Total à La Bastille, d’un lavomatic Eléphant bleu aux Tuileries. Mieux, on en viendrait presque à rêver d’un ralliement des forces de l’ordre :  les gendarmes, sur l’une des photos d’illustration, portaient eux-aussi les fameux gilets jaunes. On apprenait d’ailleurs, à la toute fin de l’article et par la voix de leur community manager, que contrairement à certaines rumeurs le port ostensible du gilet jaune n’était nullement répréhensible.  

J’ai peur qu’on m’interroge bientôt avec un jerrican sous la gorge : est ce que tu aimes le diesel, citoyen ? 

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