Le collège

Des collégiens
Des collégiens ©Getty - arabianEye
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Rien de plus précis que mes souvenirs de collège

Rien de plus précis que mes souvenirs de collège.  Quatre années bien découpées dans des bâtiments en préfabriqué enjolivés par un décors de brique. Rien n’est plus carré, plus net, plus décisif que ces années de collège. 

Avec la falaise du bac à son extrémité, le lycée a toujours échoué à atteindre une forme stable, on s’élevait lentement sur la face d’un trapèze pour mieux tomber d’un coup dans l’âge adulte : un toboggan pris à l’envers, une pente qui cassait subitement. On généralisait d’ailleurs sans peine cette structure, sinon à notre vie entière, du moins à nos années d’études : un parcours en dent de scie, parsemé d’examens, de concours, de projet d’avenir péniblement vissés au grand bâtiment en croix de la maison des examens d’Arcueil. Le lycée, cher à Sartre et aux existentialistes, était une machine à nous initier à la vie comme on apprendrait à avoir mal au cœur, un enseignement de la nausée.

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Le collège, lui, rebute plutôt les philosophes, il est trop stable, trop fataliste pour eux. C’est le domaine privilégié des sociologues, ces jansénistes qui s’ignorent et qui auraient bien passé leur vie à regarder tourner l’épaisse liqueur du déterminisme social dans ce cloître idéal formé de quatre bâtiments paillerons disposés en carré. 

La chose principale qu’on apprend au collège c’est le déterminisme social.

Je crois que la première chose que j’ai dû apprendre, la plus bizarre en tout cas, c’était l’importance capitale des jeux amoureux. Rien de vraiment décisif, pour 80 % des élèves — j’omets délibérément les confessions de Barbara à mon meilleur ami sur sa relation avec un certain Baptiste, qui arriveraient, après 25 ans, encore à me faire rougir. A part pour ces deux là, partis explorer des territoires sauvages et inconnus, l’amour était extrêmement codifié.

Je me souviens du jour où j’ai par exemple servi de messager entre cet ami et son amoureuse : je les ai amenés l’un à l’autre comme à l’autel d’une église, ils ont prononcé leurs vœux, se sont dit qu’ils s’aimaient, et sont repartis chacun dans leur direction, sans même s’embrasser — on fait difficilement plus chaste et plus ritualisé.

La chose aurait dû m’alerter : l’amour, ce sentiment qui nous passionnait tous, manquait un peu de substance. On était amoureux comme on avait découvert, à notre entrée en sixième, des matières nouvelles, une langue étrangère. 

Que j’ai échangé mon premier baiser sur l’entrepont d’un ferry au milieu de la Manche me semble rétrospectivement logique — et c’était évidemment, l’économie sentimentale de ces années de collège étaient quasi parfaite, mon meilleur ami qui avait servi cette fois d’entremetteur. 

Cette romance maritime mise à part, toute mes amoureuses de collèges — amours toujours déçues, d’ailleurs — je les avais choisies sur des critères qui découlaient d’une application scrupuleuse des théories de Girard sur le désir mimétique : je tombais toujours amoureux de l’amoureuse d’un de mes amis. Ce qui ne créait d’ailleurs aucune tension entre nous, tout cela ne se concluait, en tout cas au début, pendant l’année de sixième, même pas par un baiser, comme on l’a vu. 

A croire cependant que je cherchais moins l’amour que la rivalité amoureuse.

Lire Proust fut sur ce point une révélation : la jalousie était un sentiment plus puissant que l’amour.

Ce que cherchais c’était moins à embrasser une fille qu’à être embrassé par les normes de sociabilité du collège.

Je repense ainsi au collège, avec le recul, comme à une sorte de machination diabolique destinée à nous apprendre à désescalader du paradis de l’enfance.

Il fallait que nous infligions ces épreuves nécessaires. Que nous apprenions cette vérité prodigieuse et amère : que nous n’étions pas seuls au monde, qu’il existait autour de nous tout un ensemble de contraintes, des contraintes aussi aimables et nécessaires que mes amoureuses — aussi amovibles aussi.

J’ai ainsi toujours considéré que la plus importante décision de ma vie a été de changer symboliquement de groupe social, à l’orée de mes 12 ans. 

J’habitais dans la partie haute et pavillonaire de la ville, je retrouvais mes semblables dans un espace vert pour aller au collège en VTT comme dans une version non-anachronique Stranger Things.

Mais j’ai retrouvé, un mercredi après midi, un ami qui habitait de l’autre côté de la ville, au pied des tours, dans une impasse qui m’évoque inévitablement celle de la maison de CJ dans GTA. 

Nous étions allé au milieu des caddies cassés sur le petit parking d’un supermarché en faillite. C’était un paysage hivernal et violent mais c’est ici, précisément, que j’ai découvert l’existence de la liberté.

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