Le danger de la vie

Docteur Ryan Stone, interprétée par Sandra Bullock et Matt Kowalski, interprété par Georges Clooney
Docteur Ryan Stone, interprétée par Sandra Bullock et Matt Kowalski, interprété par Georges Clooney - Warner Bros Entertainment
Docteur Ryan Stone, interprétée par Sandra Bullock et Matt Kowalski, interprété par Georges Clooney - Warner Bros Entertainment
Docteur Ryan Stone, interprétée par Sandra Bullock et Matt Kowalski, interprété par Georges Clooney - Warner Bros Entertainment
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L’univers est sans doute déjà irréversiblement pollué par nos bactéries extrêmophiles.

C’est une définition de la vie si merveilleuse que je refuse d’y voir une simple tautologie, une définition de la vie empruntée, j’imagine, à un biologiste, mais que j’ai découverte dans le fascinant Mission to Mars de Brian de Palma — bien meilleur film que Gravity, d’ailleurs, dans son exploration implacable, comme argument de mise en scène, des lois de Newton dans lequel arrive un moment, tout au bout du câble et le réservoir du jet-pack épuisé, ou plus rien ne pourra faire que deux mains séparées de quelques centimètres se rejoignent jamais. La scène vaut largement la création d’Adam de la chapelle Sixtine. Et ces doigts qui se cherchent pourraient être l’allégorie parfaite de la grande formule du film, de sa définition géniale de la vie : la vie recherche la vie. 

C’est la lumineuse intrigue du film : la vie recherche la vie comme les doigts d’un astronaute s’emparent, sur la double hélice que sculpte l’une de ses collègues dans l’apesanteur de la fusée, d’un des M&M’s qui la composent, comme le but de l’expédition consiste à aller inspecter l’appât, en forme de visage humain, qu’une espèce inconnue a sculpté sur la planète rouge. 

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La vie recherche la vie : c’est sans doute le but de tout cela, de cet élan vers la constitution de molécules de plus en plus complexes, puis vers la fabrication de machines capables de les produire à volonté, et enfin d’instruments capables de projeter ces dernières, dans le vide interstellaire. 

Le film, qui date de 2000, est contemporain des débuts de l’internet grand public, et l’intuition qu’il déploie emprunte quelque chose au paradigme alors dominant du réseau : l’univers est vu lui-même comme un réseau, des îlots de vie séparés, les ordinateurs primitifs, entrent en interconnections et finissent par occuper la totalité du cosmos, sans laisser derrière eux aucune zone blanche. 

La vie y est vue non comme un miracle, une chance unique, une bulle de savon terrestre mais aussi comme un état avancé du cosmos, une évolution cohérente de la matière — l’univers évolue comme le poussin finit par occuper la totalité de l’œuf.

C’est une vision de la vie que ne renierait pas Teilhard de Chardin qui, parti des fossiles qu’il remontait des couches limoneuses des déserts de la Chine, en arriva logiquement à considérer la Terre, à son tour, comme le fossile déposé là, sur une orbite solaire, par le souffle cosmique de la vie — la vie comme un âge normal du cosmos, aussi explosif que le big-bang.

Mission to Mars est en cela, pour nous, presque anachronique, à l’heure des passions collapsologiques et des appels de comédiens à sauver la Terre : la vie est, dans l’univers du film, bien moins en danger qu’elle n’est le danger lui-même — l’irrépressible danger de la colonisation du cosmos.

Et si, au premier âge de la conquête spatiale, les astronautes revenus sur la terre étaient prudemment gardés en quarantaine, on fait aujourd’hui subir ce traitement à nos satellites et à nos sondes — et non pas à leur retour mais avant leur départ, pour ne pas risquer de provoquer une contamination bactérienne sur Mars ou sur Pluton.

Il est peut-être à cet égard déjà trop tard, et l’univers est sans doute irréversiblement pollué par nos bactéries extrêmophiles. 

Ce qu’on appelle la conquête spatiale ressemble au fond, avec plus de précision dans les termes, à une perte d’étanchéité du vaisseau Terre.

Mission to Mars n’a pas ce genre d’inquiétudes : la vie y est considérée comme bonne en soi. Bonne en soi comme a pu l'être au début l’invasion de l’Australie par les lapins ou l'introduction du chat génocidaire en Amérique.

Un peu au même moment, dans son best-seller Le monde perdu, Michel Crichton s’inquiétait, à contretemps, de cette idée que la vie devait chercher la vie, et de la métaphore du réseau en général, en considérant, avec une étonnante prescience, que le développement d’internet, et de ce qu’il appelait encore le cyberspace conduiraient notre espèce à une extinction certaine. Il recourait pour cela à un argument darwinien élémentaire selon lequel les petits groupes isolés sont ceux qui évoluent le plus vite. Il voyait ainsi dans le déploiement des mass-médias un risque d’assèchement de nos facultés évolutives — le risque que n’advienne plus cette mutation qui nous permettrait de survivre à un stress inattendu. Et, Crichton de s’inquiéter, bien plus que de la disparition d’une espèce d’oiseau dans la forêt tropicale, de celle notre diversité intellectuelle. 

L’avertissement porte, alors qu’on s’attend, pour la prochaine décennie, à des dizaines de Brexit et, tout autour du monde, à des élections de Donald Trump par centaines.

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