Le livre que j’ai le plus lu enfant, c’était un livre sur les inventeurs
Le livre que j’ai le plus lu enfant, c’était un livre sur les inventeurs. C'était des portraits en bande dessinée de ces explorateurs de salons géniaux qui, avec une obstination remarquable, avaient offert à l’humanité ses seules conquêtes valables, ses seuls trésors impérissables.
Je me souviens du destin de Zénobe Gramme, l’ingénieur belge qui avait fabriqué la première dynamo. Je me rappelle aussi de ma déception en apprenant que Nicephore Niepce avait expérimenté en vain, avec un demi siècle d’avance, le premier moteur à explosion.
J’ai dû tenter plusieurs fois de devenir inventeur à mon tour. J’ai ainsi scotché ensemble une dizaine de piles en espérant qu’elles se rechargent entre elles, j’ai fabriqué un simulateur de conduite en Lego — sur le modèle de ce jeu qui consistait à déplacer latéralement un véhicule sur un ruban continu. J’ai démonté aussi quantités de réveils et de moulin à café, sans trop savoir quoi faire, à la fin, de toutes ces pièces disparates, de ces spirales tressaillantes, de ces longs cheveux de cuivre et de ces charbons montés sur ressort.
J’ai tenté de visualiser le champ de magnétique d’un aimant avec de la limaille de fer — mais personne ne m’avait dit qu’il fallait interposer une feuille blanche, et je me suis retrouvé avec un aimant plus épineux qu’une châtaigne.
J’ai fabriqué, aussi, un électro-aimant avec du fil de cuivre, une pile plate et un clou, et j’ai héroïquement soulevé quelques trombones.
Rien de révolutionnaire : l’enfant que j’ai été déçoit l’adulte que je suis devenu. Il y avait un vainqueur par mois au concours d’invention de Science & Vie Junior et je n’ai jamais été en position de postuler. Mais ce n’était pas non plus éblouissant : je me souviens d’une pince à linge dotée d’un détecteur d’humidité qui sonnait quand le linge était sec, et d’une chatière un peu cybernétique qui ne s’ouvrait qu’au passage d’un seul chat — à condition de lui avoir au préalable appris à actionner un levier. On arrive aujourd’hui à un résultat plus convaincant avec des puces RFID.
Rien de plus timide et de plus maladroit, à cet égard, que mes premiers pas dans le monde en nougatine de l'électronique. J’ai fabriqué, en suivant une notice de montage, un circuit qui sifflait — j’entends encore le son du petit-haut parleur, d’une pureté tonale remarquable.
Mais j’aurais aimé saisir métaphysiquement le fonctionnement d’un transistor, plutôt que de seulement apprendre à connecter correctement ses pattes asymétriques.
J’avais été au Palais de la Découverte, et je savais que tout cela était interconnecté par une doctrine délicieusement occulte nommée électromagnétisme : j’avais fait tourner des aimants pour allumer de minuscules ampoules, j’avais lâché dans le vide ces cylindres métalliques qui s’était fait rattraper par la main invisible du principe d’induction.
J’avais fini par comprendre deux ou trois choses — le fonctionnement d’un haut-parleur, par exemple, cette membrane solidaire d’une bobine et effectuant autant de va et vient par seconde qu’il y avait de hertz dans la note demandée.
En ces années d’orientalisme finissant marquées par le triomphe des marques de hifi japonaise, c’était là un monde à la délicatesses presque interdite — un monde plus fragile que des carreaux de fenêtre en papier de riz : rien n’était alors plus tabou que la membrane noire et appétissante des hauts-parleurs.
J’avais tout au plus eu accès à l’équipement hifi périmé de la Citroën BX familiale — toute une collection de haut-parleurs que je m’étais amusé à remonter entre deux morceaux de bois et qui, reliés à mon radio-réveil, rendaient un son agonisant. Cela reste néanmoins l’objet le plus sophistiqué que j’ai jamais fabriqué.
Ma dernière grand épiphanie technique est liée à tout cela : j’ai découvert l’incroyable incursion manquée, il y a 30 ans, du constructeur d’enceinte Bose dans le monde des équipementiers automobiles, avec un projet de suspension électromagnétique révolutionnaire : la voiture aurait comme écouté la route, pour transformer toutes ses aspérités en silence absolu. L’équivalent automobile du casque à inversion de signal.
Plus j’enquête sur ce merveilleux projet, abandonné pour des questions de coûts, mais destiné à revenir sans cesse hanter une industrie ingrate, plus j’ai l’impression de l’avoir rêvé et que la chose est directement sortie de ma mémoire, comme une tentative d’unifier, en un objet unique, le désordre des mes souvenirs d’inventeur râté : des suspensions hydropneumatiques d’une BX grise à ces grappes grésillantes arrachées encore vive à ses portières, de mes jeux enfantins avec des aimants au sifflement monocorde de mon premier circuit électronique.
Dans mon monde idéal, Citroën aurait racheté Bose et il n’y aurait plus ni musique, ni mal de cœur.
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