On a bien le droit, en France, d'être très libéral

La Maison de la Radio à Paris
La Maison de la Radio à Paris ©Maxppp - OLIVIER BOITET
La Maison de la Radio à Paris ©Maxppp - OLIVIER BOITET
La Maison de la Radio à Paris ©Maxppp - OLIVIER BOITET
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C’est vrai qu’elle était méchante cette annonce gouvernementale d’une baisse d’un euro de la redevance — mais qui sait combien de kilos de pâtes Jean-Luc Mélenchon pourrait acheter avec l’euro gagné ?

C’est vrai qu’il était vexant ce brusque ajustement budgétaire décidé l’année dernière par la tutelle de Radio France — mais la direction avait une solution géniale : on ne s'abaisserait pas à faire 30 millions d’économies, comme il nous l’était demandé, mais directement 60, pour témoigner de notre colère et de notre indépendance : tu veux, grand Salomon, qu’on tranche le bébé en deux ? Eh bien moi qui suis sa mère aimante j’exige qu’on en fasse quatre morceaux. 

Étrange.

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Il y a avait mille raisons, pourtant, de justifier la réforme : nous étions trop chers, trop archaïques, trop compétents aussi, puisque nous faisions du mal à Europe 1, à Rire & Chanson et à Latina. L’argent investi n’était pas productif, il n’était pas réinjecté dans l’économie, nous étions un pôle de langueur, un trou noir publicitaire, une distorsion stupide, anachronique, des lois de la libre concurrence. Quiconque aurait voulu se lancer dans l’industrie du podcast nous aurait trouvé, obèses et gargantuesques, sur son chemin, obèses mais sautillants, comme un satyre avec sa flûte, grâce à notre absence de publicité. Quant à l’abonnement au service il avait été négocié en amont, en des temps immémoriaux : les Français naissaient presque abonnés à nous. Le seul équivalent, pour la présence dès le berceau, serait Disney, mais Disney au moins s’était battu pour cela, et se battait encore : ce n’était pas un concurrent déloyal, comme nous l’étions, et de cette concurrence il aurait trouvé, lui, à s’améliorer : Vice et Versa, tout le monde est plutôt d’accord pour dire que c’est mieux que Rox et Rouky, mais allez trouver, ailleurs que dans ma famille, et encore ce n’est pas certain, des gens pour dire que Bellanger ça vaut mieux que Meyer ou Ezine.

Il y a des gens, même, qui considèrent, et c’est légitime, que nous faisons du mal à la France. Il existe — c’est là notre véritable donjon, le lieu où l’on vient en cachette pour se faire fouetter, et il n’est pas dans la tour, il est bien mieux caché que cela, si bien caché que je soupçonne parfois un inside job — un site appelé “ Regard sur France Culture”, fait de longs, très longs posts de blog expliquant à quel point nous sommes devenus abominablement nuls : j’y apparais ainsi “lourdissime, illisible, inécoutable”, une sorte de Batman hertzien visqueux que ses ailes arrogantes empêcheraient de voler. Après tout pourquoi pas : ça me ramène au paradoxe de ma vie — je ne me serais pas lancé dans une carrière d’artiste si je trouvais les critiques agréables, mais je ne l’aurais pas fait si je les refusais par principe.

Reste l’idée, plus insidieuse, que par ma modeste présence et mon imitation, souvent ratée, d’un intellectuel quelconque, je ferais du mal à Nicolas Canteloup, en m’accaparant un peu de l’audience d’Europe 1. C’est une critique qui flatte un peu trop mon orgueil, mais que je pourrais juger recevable. Je gagne ceci dit, c’est important de le rappeler, beaucoup moins d’argent que Natacha Polony n’en gagnait là-bas : avec trois minutes de Polony, on tient ici, je calcule à la louche, un peu plus d’une heure d’antenne, techniciens compris : la ruine de la France ne passera pas par nous. Mais admettons que je sois, que nous soyons tous des danseuses d’État : ce serait, encore, une critique valide et moralement recevable. On a bien le droit, en France, d'être très libéral.

Je me suis même dit — je fais un peu l’avocat du diable — qu’on a le droit, au pays des Bonaparte, d’être un peu autoritaire : je ne sais comment la chose s’est faite, mais je me suis retrouvé l’autre jour dans le hall de la Maison de la radio avec une compagnie de chasseurs alpins. Ça aurait pu être terrifiant, si j’étais resté devant eux, mais j’ai subtilement manœuvré pour les utiliser comme une escorte, me figurant que j’étais Bonaparte le jour du 18 brumaire, ou Tom Cruise dans Walkyrie.

J’ai appris à cette occasion, en rapportant la scène à un collègue, que figurait, dans les plans primitifs du bâtiment, un lieu où installer le nid de mitraillette pour protéger nos studios d’un assaut. 

Et encore une fois, pourquoi pas : les assaillants auraient pu être l’OAS.

Mais d’entendre dire qu’on veut défendre le service public, en y mettant moins d’argent, cela, c’est insupportable : c’est insupportable, car c’est un mensonge.

par Aurélien Bellanger

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