Questions pour un Champion

Julien Lepers présentateur de "Questions pour un Champion" de la chaîne France 3.
Julien Lepers présentateur de "Questions pour un Champion" de la chaîne France 3.  ©AFP - MIGUEL MEDINA
Julien Lepers présentateur de "Questions pour un Champion" de la chaîne France 3. ©AFP - MIGUEL MEDINA
Julien Lepers présentateur de "Questions pour un Champion" de la chaîne France 3. ©AFP - MIGUEL MEDINA
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J'ai toujours pensé que j’étais fait pour triompher à Questions pour un Champion.

C’est comme une vocation : j'ai toujours pensé que j’étais fait pour triompher à Questions pour un Champion, l’éternel quiz de culture générale de la troisième chaîne, l’encyclopédie parlante posée comme un énorme glaçon sur le frigo de mes grands-parents.

Quand l’indice s’affichait, je le cachais avec la télécommande sans que cela ne nuise jamais à la précision de ma réponse. 

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Pour m’exercer à buzzer le plus vite je m’étais aussi fait offrir le jeu Quizzard, une sorte de Trivial Pursuit électronique et arachnéen. 

J’étais fait pour gagner à Questions pour un champion mais ce que je convoitais vraiment c’était les lots de consolation des perdants : toutes ces encyclopédies Larousse du cinéma, des champignons, ou du vin.

J’en étais cependant arrivé, devant une telle débauche bibliophilique, à me demander s’il n’y avait une contradiction godelienne dans Questions pour un Champion : le seul moyen de posséder ces outils pour gagner ne consistait-il pas à perdre ? 

La télé de mes grands-parents, devenue un écran plat, a fini par fondre, et je ne me suis jamais inscrit à Questions pour Champion.

Cela fait plus de 25 ans que je n’ai d’ailleurs pas joué au Trivial Pursuit et que mon Quizzard est cassé : j’ai assisté, de mon vivant, au déclin et à la mort de la culture générale et à son remplacement par des smartphones — la seconde grande extinction, après celle dû à l’invention de l’écriture, de nos capacités cérébrales.

Alors je continue, pour moi seul ou par empathie pour l’espèce savante que nous avons été, à faire défiler pour m’endormir des pages de Wikipédia. 

J’ai même connu, à un moment, comme j’ai su le code qui permettait de faire apparaître un hélico dans GTA, la combinaison de touche qui permettait d'accéder à une page au hasard, et de devenir, l’espace d’un instant, un robot indexeur.

Cela me rappelle la guerre secrète qui a opposé, il y a quelques années, le botaniste Linné à Adolf Hitler, quand des robots indexeurs, lâchés à travers les pages de Wikipédia, ont voulu savoir laquelle des deux personnalités avait le plus d’influence sur Wikipédia : cela s’était joué entre ces deux-là, entre l’ami des plantes, celui qui leur avait données leur noms moderne, et l’ennemi du genre humain — compétition qui devait ravir ces robots post-humains.

“Je cherche un homme” : j’y avais mis moins de cynisme en faisant défiler, comme sur Grindr, des visages impassibles de joueurs de hockey canadiens, ou des villages de l’arrière-pays croate : la règle étant de faire défiler ainsi les pages jusqu’à tomber sur un article qui m’intéresse enfin — et idéalement apprendre son contenu, ou assez d’éléments pour faire croire qu’on en sait beaucoup plus.

Réciter Wikipédia, devenir l’aède de l’encyclopédie en ligne : c’est rester, un peu en deçà d’un genre littéraire véritable, ma grande passion sur cette Terre.

Alors je me lance, de mémoire. 

Le dernier article qui m’a véritablement fasciné portait sur un événement dont j’ignorais tout, du nom des acteurs qu’il a mobilisés à son existence même. Mais son nom était trop tentant pour que je n’y aille pas : La crise moderniste. 

J’ai ainsi appris qu’un certain Alfred Loisy, en 1902, avait publié un livre appelé Les évangiles et l’histoire, qui se voulait une sorte de réponse, argumentée et pieuse, aux deux stress majeurs qui venaient d’affecter le catholicisme : l'exégèse allemande et l’évolutionnisme anglais.

Très vite, dès 1907, le livre avait cependant été condamné par une encyclique. Je ne me souviens plus des détails, mais je suis certain d’avoir vu passer l’excommunication de Bergson et l’existence d’un service secret antimoderne : la Sapinière. 

La crise, profonde, devait en tout cas déboucher — on n’était, notait avec intelligence un historien cité, dans un événement plus proche de l’évolution culturelle que de la brusque poussée hérétique — sur la réunion d’un concile.

Et c’est là ce qui m’a véritablement fasciné : soudain le XX e siècle, entièrement renouvelé, m’apparaissait sous l’aspect inattendu d’un grand siècle religieux, couronné par le concile Vatican II.

J’ai même noté, pour plus tard, de me pencher sur les œuvres d’Henri de Lubac et de Teilhard de Chardin, dont les auteurs n’avaient pas tout à fait réussi - malgré leur rare excellence théologique, comme Origène avant eux - à triompher tout à fait d’une réputation d’hérétiques qui les retenait d’être jamais considérés comme des docteurs de l’église. 

Devenir docteur de l’église : je ne sais pas si j’ai toujours le goût de la compétition que m’avait autrefois inculqué Julien Lepers, mais je me suis dit soudain que c’était là un challenge situé un cran au-dessus d’une victoire à Questions pour un champion.

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