

J’ai longtemps envié la liberté des empereurs
J’ai aimé Trump tout de suite, instinctivement : tellement arrogant, tellement riche, tellement new-yorkais.
Je ne sais plus quand je l’ai découvert, j’ai l’impression qu’il était là depuis toujours, qu’il attendait son heure en pleine lumière.
Il était déjà, en 1991, dans le roman American Psycho : c’était l’obsession principale de Patrick Bateman, avec les assassinats de prostituées, les lampes halogènes et les costumes italiens. Cependant Patrick Bateman ne le croisera jamais : c’est une figure intouchable et trop haute pour lui.
Il partagera, en revanche, un ascenseur avec Tom Cruise :
“- Je vous ai beaucoup aimé dans Barman.
- Le film s’appelle Cocktail.”
Le réalisateur de l’adaptation du film déclarera d’ailleurs que Christian Bale, l’interprète de Patrick Bateman, avait compris comment rentrer dans le rôle du trader psychopathe en voyant, dans une interview de Tom Cruise par Letterman, l’incroyable mélange de professionnalisme hilare et de vide dans les yeux de l’acteur.
C’est une bonne définition des psychopathes : ce ne sont pas des humains mais des costumes vides, des combinaisons dans lesquelles on peut facilement se glisser — Tom Cruise ayant dû renoncer à lui-même pour devenir Tom Cruise.
J’aurais adoré, enfant, adolescent, jeune adulte, devenir Donald Trump.
Un homme qui se faisait construire une tour à son nom ne pouvait pas être entièrement mauvais. Quelqu’un qui appelait son fils Donald Trump Junior non plus.
Je l’ai aimé, comme on finit en vieillissant non pas par accepter ses défauts, mais par les laisser. C’est la grande leçon du théâtre du Molière, nous définir entièrement jusqu’à reléguer le reste de notre personnalité à une ombre passagère dans les coulisses de notre passion principale. Vieillir, ce n’est pas accepter ses défauts, c’est tomber progressivement amoureux d’eux, et Trump était mon grand défaut : c’était le nom de mon orgueil.
Mes parents m’ont bêtement donné un nom d’empereur et je me suis toujours dit que ce serait ça mon métier idéal. Les vies des rois sont fastidieuses, ancestrales, reproductibles. Les vies des empereurs sont plus amusantes, on peut mettre le feu à Rome ou devenir un stoïcien majeur, gouverner toute l’Europe et finir sa vie dans une robinsonnade, traverser l’Indus à dos d’éléphant et mourir d’un coma éthylique.
On peut être indifféremment bon ou mauvais, Antonin ou Tibère, victorieux ou défait, empoisonné ou Mithridate : on règne quoi qu’il en soit au-dessus des convenances sans trop avoir le souci de ce qui précède et de ce qui suivra. J’ai longtemps envié, je l’avoue, la liberté des empereurs, et j’ai de l’empathie pour Trump : je vois son toupet comme une toge, Mar-a-Lago comme un autre Capri, et ses tweets comme des pouces levés ou baissés au balcon de sa loge.
Le spectacle auquel il s’est invité est évidemment malaisant et cruel : c’est le massacre de la démocratie, la répudiation de la république.
Le lendemain de son élection, je me souviens avoir ressenti très froidement la chose : comme une bascule historique majeure, un événement plus important que le 11 septembre ou que la chute du mur de Berlin. L’équivalent, en négatif, de la Révolution Française. Le cycle des Lumières qui repartait à l’envers.
Avec le recul, je me dis que le rôle est un peu gros pour lui et serait mieux allé à Nixon.
Ou à un étonnant outsider, celui par lequel Bret Easton Ellis, dans une intuition fulgurante, avait remplacé Donald Trump : Tom Cruise, évidemment.
Car Tom Cruise, c’est le sujet de ses premiers films, de Cocktail à Top Gun, de Risky Business à Jour de tonnerre, c’est l’histoire d’une folie, d’un tourbillon démocratique : l’histoire de quelqu’un qui tombe amoureux de lui-même, et que cette passion rend irrésistible. Le citoyen Cruise est un homme qui veut jouir de tous ses droits, sans exception aucune. C’est son unique morale et elle est étroitement démocratique. Le self-made-man est aussi essentiel à la politique américaine que la constitution.
Si Trump, c’est n’importe quel empereur de Rome pris au hasard, comme on faisait passer les têtes sculptées d’un buste en porphyre à un autre, Tom Cruise, c’est le bel Alcibiade : l’enfant gâté d’Hollywood ou d’Athènes qui par fureur de lui-même, se mit au service de Sparte et de la Perse.
Exactement avec la même innocence que l’un a pu collaborer avec les Russes et l’autre avec les scientologues.
Donald Trump et Kim Jong-Un, c’est Depardieu chez Kadyrov
C’est cela que j’ai aimé, chez Trump : non pas l’empereur, mais le bouffon, le comédien de lui-même, perdu dans sa combinaison énorme et à l’étroit dans la géopolitique terrestre — la géopolitique terrestre transformée pour 4 ans en une stupéfiante arlequinade.
L'équipe
- Production
- Réalisation