Comment l’Europe pense-t-elle ?

A Londres, le 9 septembre 2017, des milliers de personnes défilent contre le Brexit et réclament un deuxième référendum
A Londres, le 9 septembre 2017, des milliers de personnes défilent contre le Brexit et réclament un deuxième référendum  ©AFP - Simon Clarke / Citizenside
A Londres, le 9 septembre 2017, des milliers de personnes défilent contre le Brexit et réclament un deuxième référendum ©AFP - Simon Clarke / Citizenside
A Londres, le 9 septembre 2017, des milliers de personnes défilent contre le Brexit et réclament un deuxième référendum ©AFP - Simon Clarke / Citizenside
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Entretien avec Jean-Marc Ferry, philosophe, titulaire de la Chaire de Philosophie de l'Europe à l'Université de Nantes

Avec
  • Jean-Marc Ferry titulaire de la Chaire de Philosophie de l'Europe, à l'Université de Nantes.

En 1933, le philosophe allemand Edmund Husserl se trouve interdit de toute activité académique dans son propre pays, au motif qu’il est juif. Le 7 mai 1935, il donne à Vienne une conférence qui fera date : La Crise de l’humanité européenne et la philosophie. Le vieil homme sent le sol s’écrouler sous ses pieds, il saisit pleinement la gravité de la situation historique – Hitler est au pouvoir depuis plus de deux ans –, mais sa riposte n’est pas dirigée contre des personnalités ou des groupes politiques. Son regard se porte plus loin. Vers la crise qui agite l’Europe, l’Europe qui désormais calcule davantage qu’elle ne pense, l’Europe qui a perdu la signification du dépôt spirituel hérité de l’antiquité grecque :

Ce qui a lancé l’Europe, explique-t-il, ce qui l’a fait accéder à « la dignité d’une humanité capable de tâches infinies », ce fut l’émergence miraculeuse de la pensée interrogative. Or, cette humanité-là connaît une crise, car elle devient toujours plus étrangère à sa propre essence : les questions qui l’intéressent désormais le plus commencent par « comment », et non plus par « pourquoi ».

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À qui la faute ? À Galilée, répond Husserl. Car la révolution galiléenne ne se ramène pas à la victoire de la science sur l’ignorance, l’illusion ou le préjugé. Elle inaugure aussi la substitution par laquelle le monde mathématique, c’est-à-dire le monde des idéalités, est pris pour le seul monde réel, mettant hors-jeu nos affects, nos sensations, nos humeurs. Et ce qu’elle a mis hors-jeu, on le tient désormais pour presque rien, tout au plus une apparence. Husserl écrit : « Galilée a taillé un vêtement d’idées dans l’infinité ouverte des expériences possibles, mais il s’est comporté en couturier despotique : il a décrété que le réel ne portait pas d’autre vêtement que celui-là. Cette décision a fait que nous prenons pour l’Être vrai ce qui n’est que méthode et, sous le règne de cette confusion, la raison ne répond plus à la question « qu’est-ce que ? » mais seulement à la question « comment ? ».

En d’autres termes, la pensée interrogative, ayant cédé le pas à l’impératif d’efficacité maximale, s’enliserait dans la froideur de l’objectivisme.

Husserl avait raison sur ce point. Comment l’Europe pense-t-elle et se pense-t-elle ?

Invité : Jean-Marc Ferry, philosophe, titulaire de la Chaire de Philosophie de l’Europe de l’Université de Nantes.

Programmation musicale

  • Bach, Fantaisie chromatique (int: Wanda Landowska)
  • Beethoven, Sonate à Kreutzer (int: Alfred Cortot et Jacques Thibaud)

Jean-Marc Ferry invité de « La Chose Publique » à Lyon

Jean-Marc Ferry est l’un des invités de « La Chose Publique », le festival des idées organisé par La Villa Gilet et Res Publica du 16 au 25 novembre 2017. Il interviendra lors d'une conférence sur "Les grands penseurs de l’Europe" mardi 21 novembre de 18h30 à 20h à l’Institut d’Études Politiques de Lyon (14, avenue Berthelot Lyon 7e).

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