Quand l’hydrogène joue du métal

Werner Heisenberg et Eugene Wigner en 1928
Werner Heisenberg et Eugene Wigner en 1928 - GF Hund
Werner Heisenberg et Eugene Wigner en 1928 - GF Hund
Werner Heisenberg et Eugene Wigner en 1928 - GF Hund
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L'histoire que nous allons vous raconter aujourd'hui illustre les vertus d’une bonne combinaison entre détermination, inventivité et patience dans la recherche scientifique...

Avec
  • Paul Loubeyre Chercheur à la direction des applications militaires au CEA

Nul résultat de recherche ne tombe directement du ciel : il faut aller le chercher, laborieusement, en faisant des observations, des analyses, des mesures, des calculs, en mettant en place des protocoles, en traquant les incertitudes, les à peu près, les biais, les zones d’ombre, les erreurs qui se nichent ici ou là ; en inventant parfois d’autres techniques, ou en explorant de nouvelles idées. Il faut ensuite discuter les résultats obtenus avec d’autres chercheurs qui s’intéressent aux mêmes questions ou travaillent sur des sujets voisins. Tout cela demande du temps, beaucoup de temps, contrairement à ce que certains esprits trop zélés ont voulu nous faire croire depuis les débuts de la pandémie. Ils ont annoncé de façon péremptoire, urbi et orbi, de prétendus résultats ou de prétendus remèdes qui allaient bien au-delà de ce que les études sérieuses, qui n’avaient pas encore abouti, et pour cause, permettaient d’affirmer. Les choses sont pourtant bien ainsi : la temporalité propre de la recherche a si peu à voir avec celle de Twitter qu’on devrait se méfier des proclamations individuelles et des communiqués autopromotionnels que d’aucuns jettent en pâture à une opinion forcément inquiète. 

Parfois, il faut même attendre des décennies pour pouvoir dire qu’on sait. Qu’on sait vraiment. En 1916, Einstein prédisait l’existence des ondes gravitationnelles. Elles n’ont été détectées pour la première fois qu’en 2016, soit un siècle plus tard. Désormais, on peut dire qu’on sait. En 1964, trois physiciens théoriciens prédisaient l’existence d’une nouvelle particule, le boson de Higgs, qui fut détectée 48 ans plus tard, en 2012, au prix de gigantesques efforts, notamment la construction d’un gigantesque collisionneur de protons, le LHC. Depuis, et seulement depuis, on peut dire qu’on sait. 

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L’histoire que nous allons raconter aujourd’hui est au moins aussi belle que ces deux exemples. Elle illustre elle aussi les vertus d’une bonne combinaison entre détermination, inventivité et patience. En 1935, c’est-à-dire il y a 85 ans, Eugene Wigner, futur prix Nobel de physique, et son étudiant Hillard Huntington, firent des calculs à propos de l’hydrogène en utilisant le formalisme de la toute neuve mécanique quantique. Cela les conduisit à prédire quelque chose d’étonnant : sous des pressions gigantesques, les atomes d’hydrogène, constitués d’un proton et d’un électron, devraient expulser leur électron pour s’agencer en un cristal régulier de protons. Les électrons pourraient alors se déplacer librement au sein de ce cristal et y former à leur guise un courant électrique. Bref, l’hydrogène, qui est normalement un isolant, deviendrait métallique, c’est-à-dire capable de conduire l’électricité. Pendant 85 ans, à la question : cette prédiction de Wigner est-elle juste ? on a répondu : sans doute, mais ce n’est pas prouvé. Mais depuis quelques mois, on peut enfin clamer : oui, cette prédiction est parfaitement juste, elle a été prouvée par une expérience fantastique. Mis sous pression, l’hydrogène devient bel et bien métallique. 

Avec Paul Loubeyre, physicien, Directeur de recherche au CEA/DIF/DPTA. 

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