Que deviennent les normes du vrai ?

Grâce au site chinois "faketrumptweet.com", on peut écrire de faux tweets signés Donald Trump. Photo d'un faux tweet daté du 27 octobre 2017
Grâce au site chinois "faketrumptweet.com", on peut écrire de faux tweets signés Donald Trump. Photo d'un faux tweet daté du 27 octobre 2017 ©AFP - Jaap Arriens / NurPhoto
Grâce au site chinois "faketrumptweet.com", on peut écrire de faux tweets signés Donald Trump. Photo d'un faux tweet daté du 27 octobre 2017 ©AFP - Jaap Arriens / NurPhoto
Grâce au site chinois "faketrumptweet.com", on peut écrire de faux tweets signés Donald Trump. Photo d'un faux tweet daté du 27 octobre 2017 ©AFP - Jaap Arriens / NurPhoto
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La ligne de démarcation entre le faux et le vrai ne semble n'avoir jamais été aussi poreuse. Qu’est-ce qui distingue les connaissances des croyances ? Et en quoi consiste l’ignorance ? Éléments de réponse avec le philosophe Mathias Girel, auteur de « Science et territoires de l’ignorance » (Quae)

Avec
  • Mathias Girel Maître de conférences au département de philosophie à l'ENS-PSL, Directeur du Centre Cavaillès, USR République des Savoirs (CNRS-ENS-Collège de France) et Directeur de l’UMS 3610 Centre d’archives en Philosophie, Histoire et Edition des Sciences.

Le doute et la certitude sont engagés dans une altercation séculaire. Ils forment un vieux couple, turbulent mais inséparable : le partage entre ce que l’on sait et ce que l’on croit demeure l’une des grandes affaires des philosophes, et, de Socrate à Wittgenstein en passant par Pyrrhon et Descartes, les critères du vrai n’ont jamais cessé d’être auscultés et discutés. Ce qui est certain, est-ce ce qui a résisté à tous les doutes ? Ou bien est-ce ce dont on ne peut pas imaginer de douter ? La vérité plane-t-elle au-dessus du monde ou est-elle déposée dans les choses et dans les faits ? Peut-on faire confiance à la science pour aller l’y chercher ?

Il semble qu’aujourd’hui, nous imaginons de plus en plus que la ligne de démarcation entre le faux et le vrai pourrait être poreuse. Il y a comme un « amollissement » des notions de vérité et d’objectivité : les théories tenues pour « vraies » ou « fausses » ne le seraient pas en raison de leur adéquation ou inadéquation avec des faits ou des données expérimentales, mais seulement en vertu d’intérêts partisans ou purement sociologiques, de sorte qu’il faudrait gommer l’idée qu’elles pourraient avoir le moindre lien avec la réalité. 

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Voulant rendre compte de cette situation, le philosophe Bernard Williams a défendu l’idée que notre société se trouve parcourue par deux courants de pensée, à la fois contradictoires et associés, ainsi qu’il l’explique dans son livre Vérité et véracité (Gallimard, 2006). D’une part, il existe un attachement intense à la véracité et à la transparence, un souci de ne pas se laisser tromper. Cette situation conduit à une attitude de défiance généralisée, à une détermination à crever les apparences pour détecter d’éventuelles motivations cachées. Mais, d’autre part, à côté de ce désir de véracité, de ce refus d’être dupe, il existe une défiance tout aussi grande à l’égard de la vérité elle-même : la vérité existe-t-elle, se demande-t-on ? Si oui, peut-elle être autrement que relative, subjective, culturelle, contextuelle ? La chose étonnante est que ces deux attitudes, l’attachement à la véracité et la suspicion à l’égard de la vérité, qui devraient s’exclure mutuellement, se révèlent en pratique parfaitement compatibles. Elles sont même mécaniquement liées, puisque le désir de véracité suffit à enclencher un processus critique qui vient ensuite fragiliser l’assurance qu’il y aurait des vérités sûres. 

Dans ce contexte, que deviennent les normes du vrai ? Qu’est-ce qui distingue les connaissances des croyances ? Et en quoi consiste l’ignorance ?

Avec Mathias Girel, philosophe, Maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure- Paris Sciences Lettres. Il vient de faire paraître « Science et territoires de l’ignorance » (éd. Quae, 2018).

Choix musicaux de Mathias Girel

  • Bernard Lavilliers, Croisières méditerranéennes
  • Johnny Cash, On the 309

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