Lucile Commeaux, productrice adjointe de La Dispute, François Angelier, producteur de Mauvais genre et Victor Macé de Lépinay, producteur de Rayon BD, débattent autour de l'ouvrage de Jean-Michel Espitallier "Cow-Boy" (Inculte), publié en janvier 2020.
Lucile Commeaux, productrice adjointe de La Dispute, invite deux critiques pour discuter l'actualité culturelle dans une émission au format poche "faite maison". Au programme : cinéma, spectacle, série, opéra, bande-dessinée, etc... le tout accessible en ligne depuis chez soi. En quinze minutes : un sujet et un débat, pour une Dispute maison.
Aujourd'hui à notre sommaire, Cow-Boy, le dernier roman de Jean-Michel Espitallier paru en janvier 2020 aux éditions Inculte.
Le grand-père de Jean-Michel Espitallier était cow-boy. Un vrai cow-boy d’Amérique, au bout du bout du Far West : en Californie. Dans sa jeunesse, il a quitté ses Alpes natales pour aller tenter la fortune dans ces contrées lointaines, qui concentraient alors toute l’espérance et tout l’or du monde. Et puis, pour une raison ignorée, il est revenu. Il a vécu le reste de son âge dans son coin de France, au milieu de montagnards taiseux dont il faisait partie, lui aussi.
De cet aïeul propre à susciter des légendes, on ne sait presque rien. Son histoire est comme un trou de mémoire dans la mythologie familiale.
Tour à tour enquête, western, histoire de l’univers en accéléré, peinture de la vie quotidienne des cow-boys californiens, voyage fantastique à travers le continent américain, méditation sur la mémoire, ce récit reconstitue le parcours de ce personnage inconnu. Jusqu’à la belle histoire d’amour qui l’unit à la grand-mère de l’auteur.
D’une grande diversité de cadences et de styles, ce livre joue de toute la puissance de la littérature pour redonner vie à nos fantômes et reconstituer les choses disparues. Surtout celles que l’on n’a pas vues.
Mon grand-père s’appelait Eugène. Eugène gardait les vaches. Mais c’était en Californie. Alors Eugène était cow-boy. C’est tout ce que je sais de lui. Les mythologies des familles sont des constructions en équilibre instable, agencements de petits faits pas vrais, récits au tamis, tris sélectifs et bricolages pour que l’histoire présente bien. Il y a les braves types surexposés sur les commodes. Il y a les drôles de loustics enfouis au fond des tiroirs. La gloire ou le passage à la trappe. Pour mon grand-père Eugène, ce fut la seconde destination. Dans omerta, il y a mort. Je vais vous raconter l’histoire d’un cow-boy solitaire. Au début il est pauvre. Il est partout loin de chez lui. Mais bien avant l’histoire du cow-boy solitaire, long, long time ago, il y avait eu les très lointains avants de tous les avant-commencements des histoires du monde. Jusqu’à l’avant-début. Et même encore avant.
Une cavalcade de l'écriture
Victor Macé de Lépinay : « C'est un livre insaisissable, inclassable, qui est composite, on ne sait pas vraiment ce que c'est. Ce n'est pas vraiment une biographie de l'ancêtre de Jean-Michel Espitallier. Ce n'est pas vraiment une enquête, ce n'est pas un tombeau comme on pourrait faire un hommage à ce grand-père disparu, ce n'est pas non plus une quête de l'intime et Jean-Michel Espitallier ne prétend d'ailleurs à rien, il ne dit pas que ce sera l'un de ces genres, et en ce sens là, il ne nous déçoit pas. A mon avis, il tient finalement plus du recueil de poèmes que d'autres choses. Eugène, le grand-père, c'est un vide pour Jean-Michel Espitallier, et il va remplir ce vide avec des choses fabriquées, avec des jeux de piste, des empilements. Il tient son engagement, c'est un vide qui se remplit de fragments épars. »
Lucile Commeaux : « La lecture des premières pages indique une forme d'exercice de style qui peut tourner au tour de force. Il faut que dire que ce livre ne « que » 120 pages, mais à l'intérieur duquel on trouve des poèmes, des chansons, y compris des chansons en anglais qui sont traduites, des listes, par exemple une liste de noms de villes américains nommées d'après des villes européennes par les premiers colons, des morceaux à la première personne qui tiennent vraiment de l'autobiographie pure. Tout ça est concentré dans un petit récit qui est extrêmement riche formellement, mais dont on peut, par conséquent, douter de la richesse fondamentale, on peut craindre le pur exercice de style. Toutefois il y a un basculement qui s'opère dans le récit, quand Eugène rentre chez lui et où s'articule cette grande description des Etats-Unis au début du Xxème siècle, avec l'expérience intime et émotionnelle purement affective de son auteur. »
François Angelier : « Pour moi c'est un livre qui a été écrit à la lumière de Blaise Cendrars, sous l'influence de la prose du Transibérien. On y trouve le même souci d'une poésie swingante, cavalcadante, quasiment expérimentale, beaucoup moins aujourd'hui qu'elle ne l'était à l'époque de Cendrars. Cet aspect là est légitimé par la pratique de la langue et de la musique puisque Espitallier est poète et batteur de jazz donc il y a sûrement chez lui la volonté d'une pulsation, d'un rythme, d'une cadence à la fois verbale et psychologique. »
Un voyage physique et mémoriel
François Angelier : « Il y a un autre aspect, outre l'aspect rythmique où le batteur Espitallier prend le pas sur l'écrivain, c'est la posture quasi physique et mentale de l'écrivain Espitallier et d'Eugène, notamment le moment où Eugène décide de rentrer. Il prend le train, il fait quasiment toute la traversée de l'Amérique le nez à la vitre et nous le suivons et nous nous laissons bercer par tout ce qu'il voit et cela crée un effet « liste ». Les choses se succèdent sans qu'on ait le temps de les saisir, de les analyser et de les intérioriser. Cela crée un effet spécifique que j'aime énormément, qui est l'effet du défilé. »
Lucile Commeaux : « Je pense qu'il y a un regard à distance sur ce que c'est que l'érudition et sur ce que c'est que faire œuvre de mémoire sur un territoire singulier, et presque faire œuvre d'archiviste ou de passionné de généalogie. Aujourd'hui, à l'heure d'Internet, à l'heure où Wikipédia peut nous sortir un portrait de New-York en 1900, tel qu'évidemment il y a cinquante il était inimaginable de concevoir, j'ai l'impression que c'est pris en compte dans la posture du narrateur, dans la manière dont il se met en scène lui-même en cherchant quelque chose. Ce qu'il cherche au fond, ce n'est pas imaginer les Etats-Unis de son grand-père parce que c'est très facile, ce qu'il cherche c'est probablement plutôt un rapport entre son père, son grand-père et lui. Ca advient assez tard dans le livre mais c'est passionnant. »
- Cow-Boy, Jean-Michel Espitallier, Inculte.
Egalement disponible en librairie
Old M.Flood de Joseph Mitchell aux Editions du sous-sol, ou quand le journalisme rencontre la fiction. Lucile Commeaux, Elisabeth Philippe, philippe Chevilley et Arnaud Laporte en débattaient dans La Dispute du 20 février 2020 :
Old M.Flood, Joseph Mitchell, Editions du sous-sol - La Dispute 20/02/2020
14 min
"Culture Maison", un rendez-vous quotidien et une newsletter
Retrouvez chaque jour une proposition culturelle avec Culture Maison, et abonnez-vous à la newsletter pour la recevoir dans votre boite email avec deux autres suggestions : une fiction audio signée France Culture et une émission de savoirs pour votre culture générale.
Pour afficher ce contenu Qualifio, vous devez accepter les cookies Mesure d'audience.
Ces cookies permettent d’obtenir des statistiques d’audience sur nos offres afin d’optimiser son ergonomie, sa navigation et ses contenus.
L'équipe
- Production
- Production
- Production
- Production déléguée
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique
- Chronique