Arts plastiques : Rodin, dessiner, découper, "un Rodin beaucoup plus joueur"

à gauche : L'Empire State Building en construction (© Avery Architectural & Fine Arts Library, Columbia University) à droite : Rodin, "Deux femmes nues de profil dont l’une est agenouillée" (© musée Rodin, ph. Jean de Calan)
à gauche : L'Empire State Building en construction (© Avery Architectural & Fine Arts Library, Columbia University) à droite : Rodin, "Deux femmes nues de profil dont l’une est agenouillée" (© musée Rodin, ph. Jean de Calan)
à gauche : L'Empire State Building en construction (© Avery Architectural & Fine Arts Library, Columbia University) à droite : Rodin, "Deux femmes nues de profil dont l’une est agenouillée" (© musée Rodin, ph. Jean de Calan)
à gauche : L'Empire State Building en construction (© Avery Architectural & Fine Arts Library, Columbia University) à droite : Rodin, "Deux femmes nues de profil dont l’une est agenouillée" (© musée Rodin, ph. Jean de Calan)
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Ce soir, une Dispute arts plastiques avec : un Petit Salon, "RODIN, DESSINER, DÉCOUPER" au Musée Rodin et "L'Art du chantier. Construire et démolir du 16e au 21e siècle" à la Cité de l’architecture et du patrimoine. Corinne Rondeau évoque son coup de cœur : "L'explication des œuvres d'art".

Avec
  • Sally Bonn Maître de conférence en esthétique à l’Université Picardie Jules Verne, auteure, critique d’art et commissaire d’exposition.
  • Corinne Rondeau Maître de conférences en esthétique et sciences de l’art à l’Université de Nîmes et critique d'art
  • Anaël Pigeat Editor-at-large du mensuel The Art Newspaper édition française, critique d’art et journaliste à Paris Match, productrice de documentaires sur France-Culture, ancienne critique à La Dispute sur France Culture

Le Petit Salon de Lucile Commeaux : pour ou contre les expositions 100% féminines ?

L'avis des critiques :

Cette nouvelle année marque le dixième anniversaire d’une exposition qui avait fait couler beaucoup d’encre : « Elles » au Centre Pompidou. Elle avait été l’occasion d’un grand débat sur le sujet du sexe de l’art. Sur le terrain de l’art institutionnel et des revues, se joue la question du féminisme. Se poser la question d’expositions 100% féminines est-elle une bonne question ? Lucile Commeaux

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Il y a une volonté de signaler la part ou la totalité du féminin dans une exposition. L’exposition « Elles » a eu l’avantage de faire apparaître un manque énorme. Aujourd’hui se pose davantage la question de l’invisibilité que celle de l’invisibilisation. 20% des artistes qui vivent de leur pratique sont des femmes, malgré le pourcentage de diplômées. C’est le rôle de la critique, des journaux, des magazines, que de résoudre ce problème. Sally Bonn

Je pense qu’on n’a qu’à se reporter aux années 60 et au féminisme du droit civique. Il n’y a jamais eu autant d’inventivité qu’à cette époque-là. La terminologie qui tombe sur les gens est insupportable. L’invisibilité ne touche pas que les femmes, elle touche tout ce qui est à la marge. Pour moi, le problème est celui de l’occupation des places. Il faut que les historiens fassent leur job et ré-ouvrent l’histoire dans l’autre sens. J’ai envie qu’il y ait de la création et de l’inventivité. Corinne Rondeau

Il y a assez peu de doute que le sujet en soit un. Récemment, le critique d’art Chris Sharp relevait sur ses réseaux sociaux que dans la liste de la galerie Michael Werner, il n’y a aucune femme, que des hommes. Je trouve que si on essaye d’envisager cette question un peu plus largement, l’idéal à atteindre serait peut-être une forme de neutralité sur ce point de vue, en parlant du travail des artistes féminines sans sous ou surreprésentation. Anaël Pigeat

"Rodin, dessiner, découper" jusqu'au 24 février au Musée Rodin

Rodin, "Vulcain",crayon graphite (trait et estompe), aquarelle et gouache sur papier vélin, (© musée Rodin, ph. Jean de Calan)
Rodin, "Vulcain",crayon graphite (trait et estompe), aquarelle et gouache sur papier vélin, (© musée Rodin, ph. Jean de Calan)

Commissariat : Sophie Biass-Fabiani

Présentation officielle : Si Rodin reste aux yeux du public un sculpteur, ses dessins sont, dit-il, « la clé de mon œuvre ». L’exposition Rodin, Dessiner, Découper, révèle au public près de deux cent cinquante dessins au sein desquels quatre-vingt dix ont pour particularité le découpage et l’assemblage de figures. Jouant de la mise en espace de ces corps, ce procédé révèle des silhouettes découpées audacieuses et un dynamisme d’une grande modernité. Cette exposition annonce un des modes d’expression novateurs du XXe siècle.

« J’ai une grande faiblesse pour ces petites feuilles de papiers ». C’est ainsi que Rodin manifestait son attachement à son œuvre dessiné. Dès ses débuts, Rodin réalise – de façon indépendante de ses sculptures – des dessins qu’il exécute d’après le modèle vivant. Il présente ses dessins dans toutes les expositions qui lui sont consacrées, d’abord à Bruxelles, Amsterdam, Rotterdam, La Haye en 1899, puis Paris en 1900, Prague en 1902 ou encore Düsseldorf en 1904. Le musée conserve la majeure partie de cet œuvre dessiné, environ 7500 feuilles. (...)

L'avis des critiques :

Ces gestes de découpe sont effectivement assez beaux. Le geste du sculpteur, ce n’est pas seulement lui devant son bloc de pierre ou de marbre, il démarre dès le dessin sur papier. Ce que j’ai trouvé particulièrement intéressant, c’est de voir combien cela fait partie du processus de travail. On a l’impression que Rodin joue avec ces œuvres, qu’il cherche un mouvement et une composition, or ici on fige les choses. Sally Bonn

Cette exposition est assez surprenante, parce qu’on croit connaître Rodin et pourtant on ne connait pas ces œuvres-là. C’est une pratique qu’il a eu tout au long de sa vie, il y a quelque chose de très intime. C’est un Rodin beaucoup plus joueur qu’on ne le voit habituellement. Ce sont des découpages de corps qui pour la plupart ont été trouvés en vrac dans l’atelier. On sent que ces feuilles de papier sont des objets et que Rodin les manipule. Elles ont une matérialité tout à fait sensuelle. Anaël Pigeat

Toute l’exposition est composée de variations, de séries de découpages. On retrouve des figures aériennes, volantes, aquatiques, qui vont revenir au cours de l’exposition. Il y a une égalité entre la ligne et la découpe. Il y cherche une ondulation, comme il peut y avoir quelque chose de très ondulatoire dans le volume. Rodin a une manière de composer aussi vieille que la Renaissance et pourtant il y a une capacité interne à l’œuvre à la recombiner sans arrêt. Corinne Rondeau

"L'Art du chantier. Construire et démolir du 16e au 21e siècle" jusqu'au 11 mars à la Cité de l’architecture & du patrimoine

Alphonse Terpereau, "Le viaduc de Gabarit", état des travaux le 6 avril 1884 (© Musée d'Orsay, Dist. RMN-GPAlexis Brandt)
Alphonse Terpereau, "Le viaduc de Gabarit", état des travaux le 6 avril 1884 (© Musée d'Orsay, Dist. RMN-GPAlexis Brandt)

Commissariat : Valérie Nègre et Marie-Hélène Contal

Présentation officielle : Comment les hommes ont, en Occident, depuis la Renaissance, regardé, conçu et imaginé le lieu où l’on bâtit. La grande diversité des observateurs, la multiplicité des images et la variété des publics auxquels s’adresse l'exposition montrent qu’il s’agit d’un thème fort, dépassant largement les mondes de l’architecture et de la technique. 

L’exposition réunit un ensemble d’œuvres et de documents produits par des artistes, des journalistes, des amateurs, mais aussi par ceux qui travaillent à cet endroit : ingénieurs, architectes, entrepreneurs et – ce qui est plus rare – ouvriers, à travers des ex-voto ou des chefs-d’œuvre réalisés par les Compagnons du Devoir. Elle s’achève avec les témoignages de trois constructeurs contemporains : Patrick Bouchain, Marc Mimram et Martin Rauch pour qui le chantier est aujourd’hui plus que jamais le lieu où l’architecture affronte la complexité, comme l’inventivité et les aspirations du monde contemporain.

Fruit d’une collaboration étroite entre spécialistes de l’art et spécialistes des techniques, l’exposition propose une lecture multiple du thème : technique, mais également sociale, politique et artistique. Si le chantier est un lieu éminemment technique, il est en outre un théâtre pour les gouvernants, qui aiment s’y montrer et pour les ouvriers, qui y apparaissent tantôt comme des opprimés, tantôt comme des héros.

L'avis des critiques :

C’est une mine éclatée. C’est effectivement le chantier, il y a de la poussière, des gravats. On a trois parties, des sous-parties dans les parties. Le plaisir c’est de se perdre, comme on pourrait se perdre dans les rues d’une ville. C’est le chantier en permanence. On voit bien que le chantier est la prise de possession de la culture par la technique. Corinne Rondeau

C’est le moment du chantier, un moment de transition. C’est un sujet que je trouve au fond assez poétique, puisque c’est la ville qu’on voit d’un point de vue très haut. L’exposition est très claire bien que totalement débordante, comme un livre. Au fond, je trouve qu’elle a quelque chose presque d’un peu trop pléthorique. Il y a une quantité d’informations absolument passionnantes, c’est une mine. Toute la partie sur la représentation du chantier est très réussie. Anaël Pigeat

Le sous-titre introduit une dialectique. C’est une profusion d’œuvres sans hiérarchie, comme un chantier. C’est un grand sous-sol sans lumière, sans doute assez difficile à occuper. On a des trous, des ouvertures, des choses qui entrent et qui sortent. C’est aussi l’idée de montrer les différents points de vue sur le chantier. Il y a de très belles choses à voir dans les maquettes, les photographies et les dessins à la plume du début. Sally Bonn

>> LE COUP DE CŒUR DE CORINNE RONDEAU : "L'explication des œuvres d'art" d'Heinrich Wölfflin (l’Écarquillé)

Présentation officielle : Deux textes respectivement parus en 1909 et 1921 dans lesquels, l'historien de l'art, précurseur dans le champ des études visuelles, défend l'idée selon laquelle le langage visuel des arts plastiques est doté d'une histoire propre. Il s'intéresse aux transformations stylistiques et étudie les classifications historiques et les catégories esthétiques.

C’est vraiment pour moi l’historien de l’art le plus optique, le plus artiste, le plus esthète. Il a un rapport aux œuvres très sensible, puisqu’elles sont toujours autour de lui. Il ne vient pas juger une période par rapport à une autre, elles sont différentes et tout se joue dans ce rapport à l’œil très précis. C’est pour moi l’historien d’aujourd’hui, celui qui a un mode de visibilité lié à des sensibilités. Corinne Rondeau

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Générique de l'émission : Sylvie Fleury & Sidney Stucki, "She devils on wheels", extrait de l'album "Sound Collaborations 1996-2008" (label Villa Magica Records).

Extraits sonores :

  • Extrait de la BO du film "Rodin", composée par Philippe Sarde (Sony, 2017)
  • Squarepusher, "Conc 2 Symmetriac" (Warp, 2002)

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