Cosmique ou souterrain ? Ouvert à tous ou élitaire ? Gardé par une douane céleste, un Cerbère grognant ou un passeur effrayant dont il faut connaître le nom ? Lieu de renaissance ou destination sans retour ? Quelles formes a pris le royaume des morts en Mésopotamie, en Egypte et en Grèce antiques ?
- Karin Mackowiak Historienne, maîtresse de conférences à l'Université de Franche-Comté
- Véronique Van der Stede Chargée de recherche aux Musées Royaux d’art et d’histoire de Bruxelles
- Youri Volokhine Maître d'enseignement et de recherche, unité d’histoire et d’anthropologie des religions de l’université de Genève.
Emmanuel Laurentin et Anaïs Kien s'entretiennent avec Karin Mackowiak, maîtresse de conférences à l’Université de Franche-Comté, spécialiste de la Grèce antique, Véronique Van der Stede, chargée de recherche aux Musées Royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, spécialiste de la Mésopotamie et Youri Volokhine, maître d'enseignement en histoire des religions à l'Université de Genève, spécialiste de l’Egypte antique.
Les au-delà du monde pré-chrétien sont-ils des enfers ?
Véronique Van der Stede : Les Mésopotamiens n'ont jamais ressenti le besoin d'énoncer de manière claire leur conception de l'au-delà : on recense pas moins de quinze dénominations en akkadien - et autant en sumérien - pour désigner le monde des morts. Mais nous sommes sûrs d'une chose : c'est que tous les morts se retrouvent dans le même espace.
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Youri Voloukhine : A l'inverse, les Egyptiens n'ont qu'un seul terme "Douât" pour désigner l’endroit où vont les morts, mais également celui où l’astre solaire se régénère avant de reparaître.
Le monde des morts des religions polythéistes est-il forcément sous terre ?
Karin Mackowiak : Au départ, les enfers grecs ne sont que des eschatiai, des lieux de bout du monde. Hésiode ensuite est plus précis : dans sa cartographie des mondes, il compare l’Hadès à une "jarre obscure qui sent le moisi". Il s'agit donc bien d'un monde souterrain.
Véronique Van der Stede : Quand les premiers assyriologues ont découvert un texte intitulé « la descente d’Ishtar aux enfers » dans lequel les morts sont décrits évoluant dans l’obscurité, se nourrissant de poussière et d’eau saumâtre, ils ont aussitôt établi une analogie avec l’enfer chrétien. En réalité, le monde des morts mésopotamien est très semblable à celui des vivants, à ceci près qu’il s’agit d’un monde souterrain. La majorité des sources dont nous disposons le placent sous la croûte terrestre, voire plus bas encore : sous l'Apsû, cet océan d’eau douce qui est la source de toutes les rivières de Mésopotamie.
Youri Voloukhine : L’au-delà égyptien a lui une dimension céleste, cosmique : c'est le lieu traversé par l’astre solaire quand il disparaît derrière l’horizon. Les Egyptiens ont opéré une synthèse entre différents récits de la survie dans l’au-delà : d’une part le voyage de Rê qui va se régénérer dans la Douât pour renaître, d’autre part le dieu Osiris, assassiné par son frère et magiquement ressuscité par son épouse Isis. Ces deux mythes ont fusionné pour donner une synthèse solaire-osirienne qui résume la conception de la survie égyptienne. Parce que la caractéristique essentielle de ce monde des morts, c'est qu'on y est "vivant". Etre "mort" pour les anciens Egyptiens, c’est être totalement détruit, éliminé.
Ces au-delà pré-chrétiens sont-ils égalitaires ou connaissent-ils déjà une forme de jugement des âmes ?
Véronique Van der Stede : En Mésopotamie, tout le monde n’est pas égal dans la mort mais le sort du défunt dépend... de ses héritiers. L’épopée de Gilgamesh nous apprend que ceux-ci doivent effectuer le Kispu, un rituel qui consiste à offrir du pain, une libation d’eau et à prononcer le nom du mort pour que celui-ci ne perde pas son identité. Ainsi, tous les morts peuvent bénéficier d'une vie confortable dans l'au-delà à condition qu’on ne les oublie pas.
Youri Voloukhine : En Egypte, l’accès à l'au-delà n'est "moralisé" que vers 1 500 ans avant notre ère. On peut lire dans le chapitre 125 du Livre des Morts pour la première fois la référence à un passage devant un tribunal, et non plus seulement devant un passeur effrayant dont il fallait connaître le nom, un peu comme dans Alice au pays des merveilles.
Karin Mackowiak : Dans les traditions hésiodiques et homériques qui servaient de référence à la plupart des Grecs, l'idée de récompense et de châtiment n'existe pas. Vers le VIIIe siècle avant notre ère, Homère offre dans le chant XI de l’Odyssée une description assez précise d'un Hadès qui ne pratique encore aucune distinction entre les bons et les méchants. C'est Platon - et certaines sectes ésotériques et philosophiques - qui vont commencer à mettre en oeuvre cette théologie de la récompense et de la punition. Il s'agit vraiment d'une construction intellectuelle de l’époque classique.
Musiques diffusées
- Pierre Henry, Le Livre des Morts égyptien
- Vincent d’Indy, Istar, variations symphoniques, op. 42, Orchestre Philharmonique du Luxembourg, dir. Emmanuel Krivine
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