

Quelles traces la littérature laisse-t-elle dans nos paysages et dans notre mémoire ? Premier volet de cette série consacrée aux lieux des écrivains, un grand entretien avec l'historienne Michelle Perrot, qui vient de publier "George Sand à Nohant" (Seuil).
- Michelle Perrot Historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine à l'Université Paris Cité
Tout au long de sa vie, Nohant sera pour George Sand un espace intime mais aussi familial, amical et social, un lieu où écrire et aimer mais aussi recevoir. « Il n’est difficile de parler de Nohant sans dire quelque chose qui ait rapport à ma vie présente ou passée » écrivait-elle. Michelle Perrot, qui vient de publier George Sand à Nohant (Seuil), utilise toutes ses ressources d’historienne pour éclairer ce lieu chéri par l'écrivaine, ses amitiés, ses amours, sa vision de la société, bref une lecture aiguisée qui rapproche la « Dame de Nohant » de nous, tout en n’oubliant pas qu’elle est profondément une femme du XIXe siècle.
En dépit de l'activisme déployé par George Sand pour transformer en colonie d’artistes ce lieu hérité de sa grand-mère, cela ne fonctionne pas vraiment. Pourquoi ?
Michelle Perrot : George Sand ne parvient pas à convaincre ses amis de quitter Paris pour s’installer à Nohant. Balzac le trouve un peu crotté. Le chemin de fer, qui devrait l’aider, ne l’aide pas. Parce que quand on fait un long voyage, on reste longtemps ensuite, comme Marie d'Agoult et Liszt qui y ont séjourné trois mois mais ne sont pas revenus, Marie d'Agoult trouvant les farces des paysans berrichons peu à son goût. Flaubert vient pour des courts séjours, et le prince Napoléon-Jérôme Bonaparte pour 48h seulement, le train leur permettant de repartir rapidement à Paris et la vie devenant de plus en plus rythmée. C’est comme si ce lieu auquel elle a tellement rêvé imprimer un rythme de thébaïde devenait peu à peu moins fréquenté, malgré les facilités de transport. C’est le paradoxe de Nohant.
#Paul Virilio
A la radio, on tente parfois de faire revivre des univers sonores disparus. Un certain courant des recherches en histoire consiste aussi à retrouver des traces de l’univers sonore d’une époque, dans le fil des recherches d’Arlette Farge sur les bruits de Paris au XVIIIe siècle par exemple. Quels sons résonnaient dans cet écrin de Nohant ?
Michelle Perrot : La musique tout d’abord. Pour Sand, qui aurait voulu être cantatrice, elle était sans doute le premier des arts. A Nohant, on peut encore aujourd’hui imaginer les pianos Erard ou Pleyel qu'elle faisait venir pour Chopin, mais aussi les chants et les discussions des domestiques de la maison, accent berrichon et humour scatologique compris. Sand portait une attention extrême au langage, aux coutumes régionales. Elle avait le sentiment ainsi de plonger au cœur des racines de la France. Il y a une forme d'idéalisation du centre chez George Sand. Elle nourrissait une passion qu’on pourrait qualifier d'ethnologique, qu’elle partageait d'ailleurs avec Chopin. Ensemble et accompagnés de Pauline Viardot, ils allaient dans les mariages, les fêtes récolter des chansons paysannes. Pour conserver ce patrimoine. Patrimoine immatériel dont elle a d'ailleurs donné une idée romanesque dans Les maîtres sonneurs.
George Sand jugeait « maladroits et naïfs » les hommages de Michelet et de Quinet à la forêt ou à la montagne. Quel était son rapport à la nature ?
« Je suis un paysan » disait-elle. Elle est véritablement une femme de la nature. Nohant était envahie par les papillons, les pierres : l’entomologie était l’une de ses tocades. Elle pensait que les sciences naturelles étaient une voie de compréhension de l’énigme profonde de la formation de la Terre. Elle a été une disciple d’Etienne Geoffroy Saint-Hilaire qui aurait voulu en faire sa muse. Elle s’est passionnée pour la géologie, et pour la botanique. Elle a fait un herbier qu’elle voulait scientifique, qui permette de comprendre l’évolution des plantes. Elle pensait même qu’on pouvait faire l’éducation sexuelle des jeunes gens par les plantes. Elle accordait beaucoup d'importance à l'éducation scientifique des enfants, et dans cet esprit a écrit des contes pour ses petites-filles, inventant ainsi un genre nouveau. Quant au jardin, elle le voulait naturel et ouvert, mais en réalité elle y a beaucoup planté. On estime à 130 variétés les fleurs qu’elle y a importées. Elle avait un véritable culte pour les arbres. A Nohant, son dilemme était qu‘elle aurait voulu avoir une vue mais qu’elle ne pouvait se résoudre sans remords à abattre des arbres. A la fin de sa vie, elle est devenue encore plus écologiste. Elle s’est battue pour la forêt de Fontainebleau, contre les travaux de Claude-François Denecourt notamment. Elle trouvait que ces aménagements étaient faits pour faciliter la promenade des bourgeois et qu’ils ne respectaient pas assez les arbres. Et « laisser verdure » sont les derniers mots qu’elle a prononcés avant de mourir.
Musiques diffusées
- Chopin, Mazurka op.6 n°1, Plainte d'amour (arrangement Pauline Viardot), par Ina Kancheva, soprano et Ludmil Angelov, piano.
- Chopin, Nocturne op. 9 n°3, Heinrich Neuhaus, piano.
Agenda
Michelle Perrot présentera son livre à Nohant le dimanche 28 octobre à 14h30. Entrée libre. Plus d'informations ici.
L'équipe
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