Ce qui nous apparaît aujourd'hui figé, l'orthographe d'un mot, a en réalité été, et demeure en perpétuel mouvement, soumis à l'usage mais aussi aux influences de la société qui l'emploie.
- Paul Robert
- Alain Rey Lexicographe et linguiste français
- Lionel Jospin Ancien premier ministre français, ancien premier secrétaire du PS
- Jean Pruvost
- Claude Nougaro Auteur, compositeur, interprète, poète (1929, Toulouse - 2004, Paris)
- Bernard Pivot Journaliste et critique littéraire
Le dictionnaire est une passion proprement française. Aucun autre pays ne compte autant de dictionnaires différents, et on parle même au XIXe siècle d'un "déluge de dictionnaires" : dictionnaires de langues, encyclopédies, dictionnaire de l'Académie... Un amour dont témoigne ici le lexicologue Jean Pruvost :
Le dictionnaire, c'est : la photographie de la langue, l'histoire des choses, l'histoire de la littérature, mais aussi un objet éditorial, une odeur, une évolution technologique. C'est quelque chose qui se trouve à la croisée de tous les savoirs. C'est l'outil démocratique par excellence.
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Mais au fait, à quoi ça sert ?
Quel usage faire d'un dictionnaire ? C'est Claude Nougaro qui inaugure cette émission à travers une archive où il confiait son amour des "mots savants" et son attachement à son Petit Larousse, qui lui avait été offert par ses grands-parents lorsqu'il était petit.
Le journaliste et écrivain Michel Friedman lui emboîte le pas en expliquant aimer tous les dictionnaires. En tant que formateur de journalistes, il est par ailleurs amené à choisir et à bannir certains mots, pour que ses élèves communiquent au mieux. Il n'en appelle pas moins à l'humilité face à l'orthographe établie :
Il n'appartient pas aux journalistes de faire évoluer la langue, mais simplement de l'utiliser comme un instrument de travail. Respectons la langue telle qu'elle est, et rendons-la à nos successeurs dans l'état dans lequel nous l'avons trouvée.
Le lexicographe Alain Rey, de son côté, distingue deux usages principaux du dictionnaire. D'une part, la vérification orthographique, d'autre part, celle du sens d'un mot : le dictionnaire trouve ici tout son intérêt, et il est fascinant de se rendre compte qu'un mot recouvre toujours des sens cachés, une réalité plus complexe que ce que l'on pensait.
Paul Robert s'exprime sur l'opposition entre le Petit Larousse, un dictionnaire encyclopédique, et le Petit Robert, un dictionnaire alphabétique concernant exclusivement l'orthographe française. Ce dernier serait aussi plus ouvert sur les évolutions de la langue que le précédent, ce qui présente des avantages mais aussi des inconvénients.
Et les enfants dans tout ça ? A ce sujet, Evelyne Igual, institutrice, justifie quant à elle sa préférence pour le Petit Robert qui leur est destiné : il s'agit d'un dictionnaire clair, aéré, et illustré. A propos de l'usage du dictionnaire à l'école, elle explique que les élèves apprennent à s'en servir dès le CE1, notamment pour apprendre l'alphabet.
Il est enfin question de la concurrence des mémoires, qui voient des combats autour de certains mots. Cela interroge le statut ambigu du mot, qui en effet est à la fois une désignation censée être neutre, rationnelle, mais qui en même temps ne peut pas s'empêcher d'avoir des contenus affectifs - qui changent selon les milieux et les époques.
Y a-t-il toujours plus de fautes, et de contestations par rapport à la norme ?
Historiquement, la faute d'orthographe telle qu'on la conçoit aujourd'hui date du XVIIe siècle, période où est apparue une volonté de normaliser la langue française - alors qu'avant, plusieurs codes coexistaient. Mais cette norme est-elle toujours bien acceptée ?
Il existe aujourd'hui une forme de dépréciation de l'orthographe, qui apparaît comme un travail de bête, moins intéressant et stimulant que la réflexion : l'idée est qu'il vaut mieux bien penser que bien écrire. Evelyne Igual confirme que les enfants contestent de plus en plus cette normalisation, et demandent de plus en plus d'explications au lieu d'appliquer directement la règle dictée.
Une langue qui bouge
D'un point de vue historique, le XIXe siècle est la grande période de démocratisation de l'accès au dictionnaire : il marque l'arrivée d'une nouvelle classe d’usagers des mots. Cela induit aussi des mélanges de mots, qui ne restent plus cantonnés à leur usage par classe sociale. D'autant plus que le XIXe siècle est aussi la période du romantisme, qui correspond à une ouverture vers les mots d'hier, mais aussi les mots d'argot et les mots étrangers.
Selon Jean d'Ormesson, la langue bouge naturellement, elle l'a toujours fait, et "il serait tout à fait surprenant qu'à une époque où tout bouge, la langue, elle ne bouge plus". De fait, au cours des siècles, certains mots apparaissent, d'autres disparaissent. Mais reste à savoir qui fait bouger la langue, et comment elle bouge. Pour l'écrivain, ces évolutions ne doivent pas être décidées par des décrets, ni être la tâche d'un syndicat d'instituteurs ou de l'Académie.
Mais sa position ne fait pas l'unanimité. Bernard Pivot et Lionel Jospin par exemple, s'accordent à dire qu'une réforme légère et raisonnable de l'orthographe française serait souhaitable : il s'agit de lutter contre des absurdités, des éléments orthographiques qui n'ont pas de justification, tout en respectant notre langue.
Il n'en reste pas moins que l'orthographe aura toujours ses infaillibles et passionnés défenseurs :
Si vous enlevez son "h" à un éléphant, il n'aura plus tout à fait le même volume et le poids ; et si vous enlevez son "h" au rhinocéros, il n'aura plus la même gueule terrible.
Un documentaire signé par Anaïs Kien, Amélie Meffre et Marie-Christine Clauzet. Mixage de Benjamin Vignal.
Par Maryvonne Abolivier et Yaël Mandelbaum. Archives de l'INA choisies par Jeannette Patzierkovsky. Réalisé par Marie-Christine Clauzet.
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