

La modernité est-elle datable au carbone 14 ? Sait-on exactement quand Néandertal laisse la place à « l’homme moderne » ? Les classifications traditionnelles que l’on a longtemps enseignées et qui distinguaient homme moderne et homme pré-moderne sont-elles encore pertinentes ?
- Stéphanie Thiébault Directrice de l'Institut écologie et environnement du CNRS
Notre notion de « modernité » n'est-elle pas à repenser à la lumière des recherches les plus récentes des archéologues et paléontologues ? Si des critères d'anatomie, d'utilisation de parures ou d'outils complexes, d'existence de sépulture ou d'une production artistique ont longtemps servi à distinguer Homo sapiens, « l'homme moderne », de tous les autres hominidés — Néandertal en tête — de récentes découvertes — en paléogénétique notamment — viennent rendre moins nette cette supposée rupture, mettant en évidence que l'homme moderne n'est pas né d'un coup mais graduellement, par mosaïque. Emmanuel Laurentin s'entretient avec Stéphanie Thiébault, archéologue, paléobotaniste, directrice de l'Institut Ecologie et Environnement (INEE) du CNRS.
L’arbre généalogique que l’on pensait être le nôtre n’est-il pas en train d’être profondément remanié, complexifié sous l'effet de rencontres que l’on croyait impossibles et qui créent de nouvelles "branches" ?
Stéphanie Thiébault : En effet, dans la grotte de Denisova dans les montagnes de l’Altaï en Sibérie, on a retrouvé un petit morceau de la phalange d’un homme, et grâce aux progrès de la paléogénétique, ô surprise, on a découvert cette année que ce celui-ci s’était « mélangé » avec Néandertal... et que tout ce monde-là était parti à la conquête de l’est. On voit donc que cette humanité que l’on croyait parfaitement classifiée avec Sapiens qui arrivait un beau jour… hé bien pas du tout en fait : tout le monde s’est mélangé, baladé… C’est extraordinaire de constater grâce à ces nouvelles découvertes l'ampleur de cette mobilité et de ces rencontres. Et ainsi de pouvoir réinterroger ce qui constitue l'essence de notre modernité finalement ? Est-elle physique ? Culturelle ? Ou purement symbolique ?
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#homme de Denisova #homme de Florès #Bruniquel
Notre plus grand point commun avec l’homme du Paléolithique n’est-il pas la mobilité ?
Stéphanie Thiébault : En effet, les hommes ont toujours souhaité conquérir de nouveaux espaces. Après avoir exploré la profondeur de leurs grottes, les hommes vont se lancer dès le Préhistocène à la conquête de la steppe, des montagnes, des îles. Aujourd’hui c’est Mars qui représente ce nouvel horizon comme on le voit avec le lancement de la mission InSight. Un autre écho saisissant entre la Préhistoire et aujourd’hui est le retour des grandes migrations auquel on assiste depuis 2015. Le fait qu’en Amérique centrale, des centaines de milliers de personnes migrent est un scénario finalement très proche de celui que les préhistoriens se représentaient… il y a dix mille ans. On découvre ainsi un continuum entre notre monde globalisé où tout le monde se déplace, et qui connaît de profonds bouleversements de modes de vie et d’usages, et le monde du Néolithique.
#Johannes Krause #paléogénétique #l’énigme campaniforme
N’est-on pas dans une forme de paradoxe avec cette notion de modernité : elle est à la fois de plus en plus difficile à manier et pourtant continue d’être nécessaire pour la recherche ?
Stéphanie Thiébault : En effet, répondre à la question « Qui sommes-nous ? » est de plus en plus compliqué. Qu’est-ce qui nous définit par rapport à nos prédécesseurs ? L’adaptation à notre environnement ? L’accès à une dimension symbolique ? Au finale, qu’est-ce qui caractérise un être humain ? Nous sommes dans un grand vertige aujourd'hui face à ces questions. Et peut-être que c'est la philosophie qui peut nous être d’un grand secours pour définir ce que l'on entend par être un homme.
#François Flahaut #bonobo
Musiques diffusées
- Emmanuel Chabrier, Suite pastorale, Orchestre Les Siècles, dir. F. X. Roth
- Jean Sibelius, Musique de scène pour « La Tempête », Orch. de l'Academy of Saint-Martin in the Fields, dir. Sir Neville Mariner
Agenda
L’Institut écologie et environnement du CNRS en lien avec le Muséum national d’Histoire naturelle organise au Musée de l’Homme les 30 novembre et 1er décembre le colloque « Modernité et Préhistoire, de l’universalité et de la singularité humaines ».
Lien
Colloque Archéologie et migrations, organisé par l'INRAP au Musée national de l'histoire de l'immigration (novembre 2015)
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