Quand le temps de la mode s'accélère. Pourquoi n'y a-t-il plus de saisons ? : épisode 3/4 du podcast Apparaître aux yeux du monde

24 avril 2014, manifestation à l'occasion du 1er anniversaire de la catastrophe du Rana Plaza (Dacca, Bangladesh). 100 000 milliards de pièces de vêtement sont produites chaque année. Comment est-ce qu'on freine ?
24 avril 2014, manifestation à l'occasion du 1er anniversaire de la catastrophe du Rana Plaza (Dacca, Bangladesh). 100 000 milliards de pièces de vêtement sont produites chaque année. Comment est-ce qu'on freine ? ©Getty - Anik Rahman/NurPhoto/Corbis
24 avril 2014, manifestation à l'occasion du 1er anniversaire de la catastrophe du Rana Plaza (Dacca, Bangladesh). 100 000 milliards de pièces de vêtement sont produites chaque année. Comment est-ce qu'on freine ? ©Getty - Anik Rahman/NurPhoto/Corbis
24 avril 2014, manifestation à l'occasion du 1er anniversaire de la catastrophe du Rana Plaza (Dacca, Bangladesh). 100 000 milliards de pièces de vêtement sont produites chaque année. Comment est-ce qu'on freine ? ©Getty - Anik Rahman/NurPhoto/Corbis
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Qu'est-ce qu'une saison de la mode ? Après avoir été calquées sur les saisons réelles, l'industrie de la confection a imposé au consommateur un rythme de plus en plus effréné, allant jusqu'à produire 24 saisons par an, entraînant gaspillage et désordres écologiques. Comment est-ce qu'on freine ?

Avec
  • Manuel Charpy Chargé de recherches au CNRS, spécialiste de l’histoire de la culture matérielle
  • Sophie Kurkdjian chercheuse associée à l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP/CNRS)
  • Audrey Millet Historienne, chercheuse en poste à l’Université d’Oslo, spécialiste des écosystèmes de la mode

Emmanuel Laurentin et Anaïs Kien s'entretiennent avec Manuel Charpy, historien, chargé de recherches au CNRS/INHA (laboratoire INVISU) et rédacteur en chef de la revue Modes pratiques, Sophie Kurkdjian, chercheuse associée à l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP/CNRS) et chargée des archives et du patrimoine pour Fédération de la Haute Couture et de la Mode et Audrey Millet, historienne, chercheuse associée au laboratoire Institutions et Dynamiques Historiques de l'Économie et de la Société (UMR CNRS 8533).

Première partie : hommage à Karl Lagerfeld

Audrey Millet : Karl Lagerfeld est un génie parce qu'il a su capter l’air du temps : il était entièrement dans le présent. Il a été global avant tout le monde : il faisait de la haute couture mais aussi du prêt-à-porter pour sa propre marque, fabriquée en Roumanie. Il avait une discipline de fer, une hygiène de vie et une force de travail hors du commun. Et enfin une capacité à garder une forme de légèreté par rapport à un système économique qu’il n’affectionnait pas particulièrement mais qui lui a permis d’exister. Il y a un côté double chez Lagerfeld : d’une part, il a souvent expliqué que la mode était un jeu, qu’on n’est pas Kierkegaard quand on fait de la mode mais il était aussi une sorte d'intellectuel qui se revendiquait « hanséatique » plutôt qu'allemand et traduisait les oeuvres de la princesse Palatine ! 

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Manuel Charpy : Il a compris qu’être un personnage public lui permettait de tenir un double discours : un discours très critique sur la mode tout en étant en même temps une machine de mode. Sous son exercice chez Chanel, on a vu la frénésie apparaître, avec le passage de deux collections par an à huit !

Karl Lagerfeld en 1983, l'année où il rejoint la maison Chanel en tant que directeur artistique
Karl Lagerfeld en 1983, l'année où il rejoint la maison Chanel en tant que directeur artistique
© Getty - John van Hasselt/Corbis

Seconde partie. Saisons & mode : le grand dérèglement ?

Manuel Charpy : Dès la naissance de la confection industrielle dans les années 1850, une saisonnalité se construit, avec une production marquée par des pics de hautes saisons. Mais très vite, l’industrie va essayer de combler ces temps morts, de continuer à produire - à moindre coût - en basse saison des vêtements qui ne se démodent pas : des vêtements d’écolier, des uniformes ou des soutanes par exemple. Mais ce n’est qu'à la fin du XIXe siècle que se met en place le modèle qui a perduré jusqu’à nos jours : celui d’une collection préparée un an et demi, voire deux ans à l’avance : on va décider des couleurs, des tissus - ce qu’on appelle les « paroles de saison » - et les faire fabriquer par des filateurs. Aujourd’hui, cette rythmique centenaire est bousculée. Le travail des prescripteurs de tendances est bouleversé parce qu’il y a trop de saisons ! La « saison » peut changer au gré d’un événement, d’une fiction, d’une humeur sociétale.

Audrey Millet : Au XVIIIe siècle, les saisons de la mode reflètent encore les "vraies" saisons. On s’habille encore en fonction du climat. Aujourd'hui, qu'est-ce qu'une "saison" ? A-t-elle encore un rapport avec la chaleur, le froid ? Les nouvelles saisons sont en rapport avec la création d’un événement : le mariage, la rentrée des classes, les vacances, etc. Ainsi l'industrie du prêt-à-porter peut arriver à imposer le rythme de vingt-quatre "saisons" sur une année.

Sophie Kurkdjian : La réalité de la surproduction, du sur-achat font que le monde de la mode ne peut plus faire l’économie de la question de l’écologie aujourd'hui, d’autant que les nouvelles tendances du Do it yourself - qui reprennent des pratiques anciennes de réemploi, de remise au goût du jour déjà connues depuis le XIXe siècle - restent encore très minoritaires.

Pour aller plus loin

Le Reportage de la rédaction
4 min

Musiques diffusées

  • Sarclo, Les pulls de ma poule
  • Philippe Katerine, Le manteau de fourrure

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