Certains journalistes sont accusés de romancer l’histoire, tandis que d’autres seraient trop durs envers l'ancien PDG de Renault-Nissan. La presse en fait-elle trop ? Les médias sont-ils trop complaisants? Si oui, ont-ils tort?
- Elie Masboungi Journaliste, Correspondant à Paris pour le quotidien libanais L'Orient-Le-Jour
- Matthieu Suc Journaliste et auteur des livres "Femmes de djihadistes", ed. Fayard ; "Renault, nid d'espions", ed. du Moment.
Alors que la date de son procès au Japon avait finalement été arrêtée en avril prochain, l’ancien président de l’alliance Renault Nissan Carlos Ghosn a donc décidé de mettre fin à sa détention et de s’enfuir au Liban
« Rocambolesque », « spectaculaire », « Chapeau, l’artiste ! », « le nouveau James Bond », « quelle épopée !» « un Monte Christo des temps modernes »… les commentaires dans beaucoup de médias français, notamment audiovisuels, ont été, il faut bien le reconnaître, de l’ordre de la fascination pour cette évasion, qui, disons-le tout net, fut digne des plus grands films. Mais il se trouve que le fugitif n’est peut-être pas pour rien dans cette fascination : avant d’être arrêté et inculpé pour détournements de fonds au Japon, il était le patron le plus influent du monde (titre que lui avait décerné le Time Magazine en 2001), seul homme à la tête de deux groupes automobiles de taille mondiale, la japonaise Nissan, et la Française Renault.
Last but not least de l’histoire, depuis son arrestation en novembre 2018, l’intéressé clame son innocence, dénonce un complot à son encontre et a dit fuir « un système judiciaire japonais partial où prévaut la présomption de culpabilité ».
Il n’en demeure pas moins l’objet de quatre inculpations, deux pour abus de confiance aggravé et deux pour revenus non déclarés, la justice nippone le soupçonnant d’avoir dissimulé pour 75 millions d’euros de revenus.
L’ancien patron désormais fugitif s’en est expliqué mercredi dernier lors d’une conférence de presse d’un genre tout à fait particulier devant 150 journalistes du monde entier, show retransmis en direct, et qui a fait ensuite la une de quelques-uns de nos médias nationaux.
Alors est-ce parce que toute cette histoire est hors du commun que beaucoup de nos médias se sont emballés ? Peut-on le leur reprocher ? Dans leur romantisme, ont-ils négligé le fait que l’homme, en s’enfuyant, s’est soustrait à la justice d’un pays démocratique qui, fait aggravant, est désormais sous le coup d’une demande d’arrestation d’Interpol? Dans cette affaire, les médias français ont-ils fait de Carlos Ghosn un héros des temps modernes ou bien contrairement à ce que certains disent ont-ils été trop durs envers celui qui fut pendant longtemps présenté comme « l’empereur de l’automobile » ?
Mathieu Suc, journaliste à Médiapart, auteur de Renault, nid d’espions, Harper Collins, 2013
On a rappelé dans notre article que c'est un fugitif, les chefs d'inculpations contre lui et pourquoi il cherche à se soustraire. Que l'on soit étonné je comprends, mais complaisant non je ne suis pas d'accord. Certains éditos ou interviews ont été complaisants, et cela fait énormément de mal à notre profession qui a déjà beaucoup souffert avec l'affaire Xavier Dupont de Ligonnes à l'automne dernier.
Elie Masboungi, correspondant à Paris du quotidien libanais L'Orient-Le-Jour
Oui, il y a un côté rocambolesque mais on ne peut pas reprocher à la presse française ou internationale d'en faire trop, dû à l'importance du personnage. Au Liban, il y a un côté sentimental et affectif que l'on peut comprendre. Je ne suis pas de ceux qui croient que la presse a fait trop de bruit dans cette affaire.
Pour aller plus loin :
Ghosn ne sera plus interdit de quitter le Liban en l’absence de demande d’extradition d’ici à 40 jours, L'Orient-Le-Jour
Carlos Ghosn, roi de la com’ et des contrevérités, Médiapart
Comment la presse tranforme Ghosn en Largo Winch, Arrêt sur images
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