"Tout un homme" : l'irruption du réel au théâtre

"Tout un homme" : l'irruption du réel au théâtre
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*A l'occasion de la pièce * Tout un homme, texte et mise en scène de Jean-Paul Wenzel, au Théâtre des Amandiers jusqu'au 9 décembre .

Avec** Gérard MORDILLAT** , Tobie NATHAN et Stanislas NORDEY .

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Gérard Mordillat : « Jean-Paul Wenzel a beaucoup enquêté pour écrire ce texte. Ce qui est passionnant dans cette pièce, c’est le décalage entre la situation sociale évoquée que nous connaissons, et la façon, beaucoup plus marquante, dont elle nous apparaît lorsqu’elle est représentée sur scène. De ce point de vue, le théâtre occupe une fonction irremplaçable., mais ce que nous connaissons de la situation sociale évoquée nous apparaît de façon beaucoup plus marquante sur scène.

Dans la pièce de Wenzel, les protagonistes ne parlent pas que de leur expérience de migrants, mais aussi de celle de Jean-Paul Wenzel. Il en va de même de la langue qu’il parle dans la pièce : c’est la sienne, et tous les personnages parlent sa langue à lui. Derrière la dimension documentaire de cette pièce, on trouve une œuvre très intime, avec pour porte-parole des gens qui ont vécu la même expérience mais qui viennent d’un autre monde et d’une autre culture.

Les travailleurs immigrés, sans papiers, et plus généralement les travailleurs et les employés, sont très absents de l’imaginaire artistique en France. Prenez un an de production artistique, vous verrez que la France met au travail des flics, des publicitaires, des architectes, des oisifs. Les invisibles sont donc les travailleurs. C’est bien que le théâtre, soudain, regarde en face ce qu’il y a simplement devant chez nous. »

Tobie Nathan : « C’est un documentaire, mais est-ce encore du théâtre ? Parfois, on croit assister à un exposé de sociologie qui perd la dimension théâtrale, malgré la mise en scène. Le titre de la pièce, Tout un homme , est pour moi une citation des Mots de Sartre. On prend un homme qu’on analyse dans toute sa spécificité, pour finalement y retrouver tous les hommes. Du point de vue de la spécificité, les personnages ne ressemblent pas aux hommes qu’ils sont censés représenter. Il y a notamment un problème avec la langue : ils arrivent en France, ils ne parlent pas l’arabe, et sont donc isolés des autres migrants. Ils continuent à parler leur langue, et parlent peu le français. Or, dans la pièce, on a plutôt l’impression d’avoir une deuxième génération qui maîtrise le français. Ce n’était pas le cas. Cette pièce est excellente du point de vue historique, mais du point de vue humain, elle ne parle pas de l’exil dû à la langue.

C’est une œuvre personnelle, mais on pouvait attendre plus, par exemple autour de la religion. Ces populations viennent d’un monde musulman, mais islamisé tard. Ils débarquent, et sont confrontés à un islam qu’ils ne comprennent pas, celui qui est pratiqué en France, puis celui que leur apportent leurs enfants.

Le texte de Wenzel est trompeur. Les immigrés ont un rapport avec des institutions. Or, la seule institution visible ici, c’est la CGT. Pourtant, c’est face à ces institutions que les immigrés se fracassent, et c’est là que se passent les conflits. »

Stanislas Nordey : « Théâtre documenté, oui, mais théâtre documentaire, non. Ce genre, qui remonte aux années 1920, a pour principe de ne pas prendre parti. A l’inverse du théâtre militant, il y a une forme de neutralité, même si le choix des paroles oriente nécessairement le propos. C’est un genre passionnant, qui questionne l’intérêt de l’apparition du réel sur scène, et permet d’entendre des points de vue et de donner une liberté aux spectateurs. La pièce de Wenzel se rapproche plus du théâtre social.

La spécificité de Wenzel est la volonté de mettre sur les plateaux de théâtre des figures et des personnes qui n’y étaient jamais. Le théâtre documentaire est souvent absent. Aujourd’hui, il y a une sous-représentation au théâtre de la réalité des populations, de la société. La plupart des gens qui font du théâtre sont issus des classes moyennes ou supérieures. Il y a dès le départ une impossibilité, car les classes qui jouent parlent d’abord de ce qu’elles connaissent. »

Sons diffusés :

  • Jean-Paul Wenzel au micro de Sarah Bernard. Retrouvez ci-dessous l'entretien en version intégrale :

Jean-Paul Wenzel au micro de Sarah Bernard

4 min

  • Extrait d’Invisibles de Nasser Djemaï.- Slimane Azem, « Toura ».

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