Expos : "Enfin le cinéma !" au Musée d'Orsay et "Écrire, c’est dessiner" à Pompidou - Metz

"Depuis un balcon, quai Voltaire, Paris" vers 1870 / "Sans titre (writing is drawing drawing is writing)", 1989
"Depuis un balcon, quai Voltaire, Paris" vers 1870 / "Sans titre (writing is drawing drawing is writing)", 1989 - Anonyme (© : Coll B. Garrett Paris) / Etel Adnan (© Etel Adnan 
© Centre Pompidou-Metz / Béatrice Hatala)
"Depuis un balcon, quai Voltaire, Paris" vers 1870 / "Sans titre (writing is drawing drawing is writing)", 1989 - Anonyme (© : Coll B. Garrett Paris) / Etel Adnan (© Etel Adnan 
© Centre Pompidou-Metz / Béatrice Hatala)
"Depuis un balcon, quai Voltaire, Paris" vers 1870 / "Sans titre (writing is drawing drawing is writing)", 1989 - Anonyme (© : Coll B. Garrett Paris) / Etel Adnan (© Etel Adnan 
© Centre Pompidou-Metz / Béatrice Hatala)
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Au sommaire : un fort désir de cinéma et la plastique de l'écriture. Qu'ont pensé nos critiques de ces deux expositions ?

Avec
  • Sally Bonn Auteure, critique et Maître de conférence en esthétique à l'Université d'Amiens
  • Corinne Rondeau Maître de conférences en esthétique et sciences de l’art à l’Université de Nîmes et critique d'art

La  Grande Table critique : commentaire expert et subjectif de l’actualité culturelle. Chaque semaine, des critiques invités par Lucile Commeaux se rencontrent autour de deux disciplines dans l’amour de l’art et de la dispute.

Au sommaire du jour, deux expositions : "Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France (1833-1907)", au Musée d'Orsay jusqu'au 16 janvier, et "Écrire, c’est dessiner", au Centre Pompidou Metz jusqu'au 22 février.

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Nos critiques du jour : Corinne Rondeau, maîtresse de conférences en esthétique et sciences de l’art à l’université de Nîmes, et Sally Bonn, critique et maîtresse de conférences en esthétique à l’université de Picardie.

"Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France (1833-1907)", au Musée d'Orsay jusqu'au 16 janvier

L'exposition : Aucune rupture brusque ou révolution violente cependant, les esprits et les corps avaient été largement préparés. Les premières projections de « photographies animées » par les frères Lumière à Paris en 1895 sont en effet les dernières-nées d’une longue succession de dispositifs visuels et d’attractions (du panorama aux musées de cire, en passant par la morgue, les aquariums et les foires) qui trouve son apogée lors de l’Exposition universelle de 1900 à Paris. Issus d’une tradition de la circulation des images, ces premiers films, encore imparfaits, sont également les héritiers de multiples pratiques, artistiques ou scientifiques, savantes ou vulgaires. Nombreuses sont les propositions ou interrogations formulées par les artistes du XIXe siècle qui ont précédé leur avènement – au premier rang desquels le fantasme du « réalisme intégral » – que le cinéma prolonge, recycle, questionne, et bientôt dépasse. L’évidence de la mobilité du monde ou de l’écoulement du temps est interrogée et analysée au prisme de certains motifs culturels comme l’agitation de la ville ou le ressac perpétuel des vagues. En ce sens, Jean-Luc Godard eut raison de rappeler que le cinéma fut inventé par le XIXe siècle.

"Les Déchargeurs de charbon", vers 1875
"Les Déchargeurs de charbon", vers 1875
- Claude Monet / photo © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Patrice Schmidt

Ne cherchant pas à présenter une chronologie des inventions, l’exposition « Enfin le cinéma ! » est volontairement synchronique et thématique. Elle fait dialoguer la production cinématographique française des années 1895-1907 avec l’histoire des arts, depuis l’invention de la photographie jusqu'aux premières années du XXe siècle, au fil de quelques grands sujets que sont la fascination pour le spectacle de la ville, la volonté d’enregistrer les rythmes de la nature, le désir de mise à l’épreuve et d’exhibition des corps, le rêve d’une réalité « augmentée » par la restitution de la couleur, du son et du relief ou par l’immersion, et enfin le goût pour l’histoire. Elle se conclut vers 1906-1907 alors que la durée des films s’allonge, les projections se sédentarisent dans des salles et les discours s’institutionnalisent. Le cinématographe devient le cinéma, à la fois lieu et loisir de masse.

L’exposition rassemble près de 300 œuvres, objets et films aussi bien anonymes que signés de noms bien connus du grand public, de Pierre Bonnard à Auguste Rodin en passant par Gustave Caillebotte, Loïe Fuller, Léon Gaumont, Jean Léon Gérôme, Alice Guy, Auguste et Louis Lumière, Jules Etienne Marey, Georges Méliès, Claude Monet, Berthe Morisot, Charles Pathé ou Henri Rivière.

"Descente d’un plan incliné", 1882
"Descente d’un plan incliné", 1882
- Jules-Etienne Marey / Photo © Collection La Cinémathèque française

Extraits de l'émission

"L'exposition montre la construction d'un regard qui fait de la réalité un spectacle. Elle s'intéresse à la grande fantasmagorie qu'est le tournant du XIXe au XXe siècle. On s'y promène en flânant, comme au XIXe, en traversant tout ce qui frémit, tout ce qui grouille à l'époque : la vitesse, la foule, l'urbanité, la danse, les lumières de la ville, les décors, la foule, l'érotisme, une explosion de couleurs. On retrouve ce qu'est la modernité, c'est-à-dire quelque chose d'héroïque, aussi, comme le dit Benjamin." Sally Bonn

"Cette exposition peut s'envisager comme une fête foraine. L'explosion, à l'époque, de la technologie, de la grande ville, des grands magasins, de tout ce qui se montre, fait apparaitre le cinéma, qui adviendra ensuite, comme un point d'orgue du mouvement, de l'animation. Le cinéma est l'aboutissement d'un fait social et culturel, et c'est bien la culture visuelle qui se met en oeuvre, alors. L'exposition est très stimulante si on se défait d'une lecture didactique qui, elle, ennuierait fortement. Il faut la visiter comme un badaud dans une fête foraine, un badaud du XIXe siècle." Corinne Rondeau

"Écrire, c’est dessiner", au Centre Pompidou Metz jusqu'au 22 février

L'exposition : Née d’une conversation avec l’artiste, poète et écrivaine Etel Adnan, récemment décédée, l’exposition "Écrire, c’est dessiner" explore notre fascination pour l’écriture et ses signes, et leur proximité avec la pratique du dessin, opposant le monde manuscrit au monde numérique.

De cette conversation est née l’idée d’une exposition mettant en avant la poésie de cet « ancien savoir » qu’est l’écriture, à travers des lettres et manuscrits, mais aussi des œuvres graphiques issues des collections du Centre Pompidou, où l’écrit se mêle à l’image, voire disparaît complètement. Les supports de narration que sont le leporello, le rouleau, le livre, le cycle illustré, sont au centre de cette présentation, qui réunit des ensembles de dessins, notes et oeuvres d’Etel Adnan, Pierre Alechinsky, Roland Barthes, Irma Blank, Pierrette Bloch, Louise Bourgeois, Frédéric Bruly Bouabré, Mirtha Dermisache, Christian Dotremont, A.R. Penck, Nancy Spero et Jacques Villeglé.

"Ne pas mâcher", 1992 © Adagp, Paris, 2021 Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat
"Ne pas mâcher", 1992 © Adagp, Paris, 2021 Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat
- Pierre Alechinsky © Adagp, Paris, 2021 Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat

Ces œuvres sont mises en regard de cabinets d’écritures, contenant des manuscrits autographes de personnalités illustres (Arthur Rimbaud, Victor Hugo, Antonin Artaud, …) ainsi que de précieux trésors des fonds patrimoniaux de la Bibliothèque nationale de France (supports d’écritures et manuscrits anciens de différentes civilisations, brouillons d’écrivains, recueils de poésies,…), du Louvre, de l'Institut du Monde Arabe, des Bibliothèques- Médiathèques de Metz et du Grand Est (fonds Paul Verlaine, enluminures médiévales, …), en lien avec des œuvres et films de Guy de Cointet, Alighiero e Boetti, Yuichi Inoué, James Lee Byars ou encore d’Art Brut. Témoignant d’une imbrication primordiale et d’une richesse infinie entre écriture et dessin, signe et trace, ce dialogue donne à l’exposition son titre : "Écrire, c’est dessiner".

Etel Adnan rêve ainsi que l’on regarde dans cette exposition une simple écriture, quelles que soient sa langue et sa graphie, "comme un tableau dans un musée."

"Dhikr" (détail), 1978
"Dhikr" (détail), 1978
- © Etel Adnan © Centre Pompidou-Metz / Béatrice Hatala

Extrait de l'émission :

"L'exposition s'intéresse à la rencontre et le lien essentiel entre le geste d'écrire et le geste de dessiner, un questionnement qui traverse toute l'oeuvre d'Etel Adnan, aussi bien poétique que plastique, et qui croise les préoccupations historiques d'un certain nombre d'artistes. On y trouve ainsi d'autres oeuvres que celles d'Etel Adnan, quelques unes splendides, quelques unes où le lien avec le sujet semble tiré par les cheveux. La qualité première de l'exposition, selon moi, est de monter à quel point la simplicité et la précision d'une pensée peuvent produire les oeuvres les plus intéressantes. Il y quelque chose du retour à une geste enfantin." Sally Bonn 

Egalement au sommaire de La Grande Table critique :