Pour ouvrir le bal de cette semaine européenne, où nous prendrons chaque jour des nouvelles de nos voisins, l'écrivaine polonaise Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature en 2018, est notre invitée, à propos de ses "Histoires bizarroïdes" et de son discours du Nobel, "Le tendre narrateur".
- Olga Tokarczuk Écrivaine polonaise
Ecologiste, féministe, pessimiste tendre, l'écrivaine polonaise Olga Tokarczuk publiait le mois dernier la version française de ses Histoires bizarroïdes (Noir sur Blanc) et son discours du Nobel, Le tendre narrateur (Noir sur Blanc). Psychologue de formation, elle s'est consacrée pleinement à l'écriture depuis 1997. De son enfance passée au milieu des livres de la bibliothèque universitaire tenue par son père, elle a gardé un attachement profond à la littérature d'Europe centrale, où le grotesque et le poétique se côtoient. Elle a découvert au fil de ses livres son propre langage, capable de rendre compte de notre monde morcelé par son goût du fragment, mais aussi sensible au commun de l'expérience humaine, grâce à la tendresse du narrateur.
On peut appeler une partie de mon psychisme un "tendre narrateur". Le narrateur, en général, est une composante d’un psychisme humain, composé de l’âme, du corps, et du narrateur. Ce dernier est responsable de la fonction de communication avec le monde : en le racontant, il crée le monde. (Olga Tokarczuk)
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Romans historiques, livres de mystique, aventures personnelles, recueils de poésie et nouvelles : son œuvre dépasse toutes ces catégories génériques, comme elle souhaite transcender des frontières géographiques et nationales. Dans son discours du Nobel, elle constate que « nous manquons de nouvelles manières de raconter le monde ». Face aux mutations contemporaines et à la crise du récit, comment écrire ? Quel récit est capable de rendre compte de la complexité de notre univers ? Quelle nouvelle narration inventer ?
Olga Tokarczuk propose d'imaginer une nouvelle narration qui rendrait compte de la totalité du monde, de la variétés des informations et des points de vue : une instance narrative à la 4e personne, le « tendre narrateur ». Une manière de dépasser le point de vue de chacun des personnages, d’obtenir un regard à la fois inclusif et surplombant. Le sentiment de tendresse, première vertu de ce narrateur, permet de découvrir ce qui nous relie, ce que l'humanité a en partage. On retrouve cette vision de l’écriture à l’œuvre dans les dix nouvelles des Histoires bizarroïdes.
La littérature est pour moi une possibilité d’ouvrir de nouvelles perspectives de voir le monde. Je suis sûre que le fait de raconter le monde est très important. Si la narration change, le monde pourrait changer. (Olga Tokarczuk)
Le conformisme est une des briques de la société, sans lui, pas de société telle que nous la connaissons. Mais ce conformisme bâillonne tout acte de liberté. C’est quelque chose de contraire à la création. Le pire, c’est lorsque le conformisme rencontre l’hypocrisie. Je pense que c’est ce qui se passe un peu aujourd’hui en Pologne. (Olga Tokarczuk)
Dans les Histoires bizarroïdes, la tendre narratrice nous fait ainsi traverser les époques, abolissant la frontière entre le réel et le surnaturel, portant un regard attentif à la singularité de chaque expérience. « Le Transfugium » déplace ainsi les Métamorphoses d’Ovide dans un contexte où l’euthanasie transforme une femme lasse de la vie en loup, là où « Les Enfants verts », nouvelle à la fois historique et fantastique, relève du petit conte philosophique se déroulant en l’an 1656 dans le Royaume de Pologne. Quant à « La visite », elle se situe dans un futur dystopique empreint de science-fiction, où les êtres possèdent des clones d’eux-mêmes avec lesquels ils cohabitent. Olga Tokarczuk déploie dans ces nouvelles son talent de conteuse, son goût pour les paraboles capables de saisir diverses situations et époques. On y retrouve sa fascination pour les univers ésotériques, les diverses formes de spiritualité, son goût pour le penchant irrationnel, métaphysique, surnaturel de nos existences. Une œuvre fragmentaire, où le "je" de l'autrice s'efface derrière une pluralité d'expériences.
J’essaye de sortir des genres, de leur limite, je déteste les tiroirs des genres. Chaque livre essaye de créer une forme nouvelle. (Olga Tokarczuk)
La littérature en tant que récit peut lier les gens grâce aux traducteurs. (Olga Tokarczuk)
Extraits sonores :
- Agnieszka Holland au sujet de son film Spoor, adaptation du livre d'Olga Tokarczuk, Sur les ossements des morts
- Danilo Kis, Apostrophe, 16 avril 1989
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